En mars 2017, StartupBRICS a eu l’honneur d’assister à ChinaConnect, événement phare pour tout occidental s’intéressant au marché chinois. Cette édition avait pour thème « crack the codes » (craquer les codes), et ambitionnait plus que jamais de donner aux participants les clés de compréhension essentielles à toute personne ou entreprise souhaitant se lancer dans l’aventure chinoise. C’est autour d’un café que je retrouve Laure de Carayon pour discuter de l’édition 2017 de ChinaConnect à Paris, de sa vision du marché chinois, et de ses ambitions de développement à l’international.
Pourquoi ce thème « crack the codes », quelles ambitions derrière ce choix ?
D’abord chaque année il faut trouver un nouveau thème, et on a un concept qui est le marketing digital et mobile. Donc chaque année, le but est d’être aux faits des dernières actualités, tendances, challenges et opportunités. « Crack the codes » c’était une façon de dire :
1) Crack the codes du consommateurs, c’est à dire comprendre, approfondir les profils de ces utilisateurs, de ces internautes, de ces mobinautes, dans leurs comportements et leurs usages. C’est un marché qui se structure et qui mature… Mais il est encore très évolutif ! Il y a une innovation permanente, et donc nous devons cerner comment ces consommateurs, citoyens et internautes s’adaptent à ces changements. Qu’est ce qui aujourd’hui fait partie d’habitudes (s’il y en a) chez eux ? Et qu’est ce qu’ils sont en train de saisir de nouveau, car les consommateurs chinois sont quand même un peu moins conservateurs que nous aujourd’hui, donc très en demande d’expériences.
2) C’est ensuite jouer sur l’ambivalence du mot « codes » dans la notion algorithme, data. Cette édition m’était justement la data au coeur des stratégies social, e-commerce, pour comprendre les codes de ce consommateur. La data en Chine est un environnement très opaque, et moins mature qu’il ne l’est dans l’ouest ! Déjà qu’à l’ouest on se plaint beaucoup, on peut imaginer les challenges qu’il peut y avoir en Chine. Avec ce que l’on a quand même aujourd’hui, qui est bien naissant, comment pouvons-nous mieux comprendre, au fil de la data, ces nouveaux usages et comportements ? Crack the codes : du consommateurs, et de l’usage de la data.
La data en Chine qui du coup est un petit peu plus opaque, plus difficile d’accès ?
Plus difficile d’accès oui. Avant même d’y avoir accès, c’est l’agrégation de la data au sens large, avec les outils de mesure dont on dispose, qui est difficile. Il y a 1,4 milliard de personnes, qui va-t-on aller toucher ? Il y a d’abord 750 millions d’internautes, donc c’est d’abord là qu’on va aller les chercher. Mais donc comment arrive-t-on à trouver et à développer des outils qui aient une pertinence dans le temps, et qui peuvent matcher ? Des outils qui soient cross-channels, multi touch point, etc. Il faut passer par du mobile, du offline,… Lors de cette édition, nous avons invité des acteurs qui sont assez référents en Chine la dessus, comme AdMaster, QiHoo 360 – qui apporte de la data sous un autre angle, puisque c’est d’abord et avant tout un moteur de recherche – et des acteurs comme Linkfluence, pour parler d’acteurs français… Mais chacun avait un point de vue unique sur la question !
Même le pure player de l’e-commerce Seiko avait développé une étude qui datait de novembre, avec McKinsey et Tencent, pour mieux comprendre les nouveaux utilisateurs du luxe et des acheteurs du luxe en ligne. C’est aujourd’hui le nerf de la guerre, on sait que les market place comme T-mall chez Alibaba se battent pour avoir ces marques. Mais lorsqu’on a été une market place et qu’on a accueilli toutes les marques telles qu’elles soient, et qu’on souhaite tout d’un coup se ‘premium-iser’, c’est un petit peu compliqué. Par contre, vous avez d’autres acteurs qui ont décidé de rentrer et de se positionner exclusivement sur le premium et sur le luxe, eux ont plus de légitimité auprès de nouveaux acteurs pour les rassurer. Même si évidemment, leur défaut est la base d’utilisateurs, qu’ils n’ont pas, à l’instar de T-mall par exemple… Voila pour résumer, ces différents acteurs qui pouvaient nous apporter des indicateurs sur le sens de la data chez eux.
Tu parlais de multi plateformes, une chose qui m’a marqué dans les discours qu’il y a eu pendant l’événement était cette insistance sur la notion de « mobile only, mobile first », pour le marché chinois. Quel est ton point de vue ?
Il y a deux chiffres à retenir. S’il y a une date qui est assez symbolique dans l’année c’est le fameux 11.11, où 85% des achats ont été faits par mobile. Donc ce n’est pas 85% pendant 365 jours par an, par contre on est en train de s’approcher de chiffres phénoménaux – on est aux alentours de 50-60% au moins à l’année, alors qu’à l’ouest on est aux alentours de 20%, donc 30 points de plus, c’est colossale !
Aujourd’hui, en effet, il n’y a pas une stratégie et pas une innovation qui s’envisage et qui ne soit pas mobile. C’est à dire qu’on peut même se passer d’un site internet, et plutôt développer une app, ou rejoindre une app comme WeChat et développer son activité e-commerce au sein de cette application. L’idée est d’essayer de retrouver un écosystème où il existe déjà une base d’utilisateurs. On compte aujourd’hui 850 millions d’utilisateurs chez WeChat, c’est dire la puissance de cette plateforme.
Le mobile, c’est une évidence. En Chine il faut voir les gens dans le métro, tous avec leurs iPhones et regardant des films, car ils ont des temps de transport hallucinants. Pendant une heure ou deux, ils regardent des vidéos, ils jouent à des jeux sur mobile, etc. Ils ne vivent qu’avec ça. On a développé les outils, la géolocalisation, et je pense que pour des consommateurs chinois, dans un pays aussi étendu où même les noms des rues n’existent parfois pas, le mobile ça sauve ! Le seul accès c’est le mobile, pour tout ! Se divertir, jouer, lire, s’informer, acheter…
Je voudrais revenir sur cette question des startups, des entrepreneurs étrangers qui veulent soit étendre leur activité à la Chine, soit carrément se lancer en Chine. Si tu devais résumer un petit peu les conseils qui sont ressortis du panel qu’il y a eu sur les startups ?
Ce qui s’est dit d’abord c’est qu’il ne faut pas juste se dire « j’ai une super idée, je vais aller la lancer là bas car elle existe pas ». Je crois qu’il faut d’abord surtout étudier les besoins de ce marché, car ce n’est pas parce qu’on a des idées ici qu’elles sont pertinentes là bas. Par contre, là bas il y a de vrais besoins, et plus que ça, il y a des manques sur lesquels les chinois nous attendent, car ils savent que nous sommes est performants sur ça. Donc il vaut mieux aller se positionner sur ces registres et ces secteurs là. Je vais prendre un exemple : la santé et les seniors. La Chine va avoir une population de seniors monstrueuse. Ils ne sont pas prêts à gérer tout ça. Ils ne se sont pas préparés à accueillir ces gens, et j’ai vu qu’il y a une entreprise qui fait des maisons de retraites en France, Orpea. Ils se développent en Chine à vitesse grand V, car les chinois leur demandent beaucoup de conseils.
Il faut aller là où les chinois nous disent « on a besoin de votre savoir faire, de votre technologie ! ». Après, selon la sensibilité du secteur d’activité – on verra si on parle de l’automobile par exemple – il faut déjà étudier le marché, étudier les besoins et déterminer là où nous pouvons leur apporter quelque chose. Ensuite, sans doute s’installer sur place, être accompagné par des experts (si possible des chinois)… Il est important de toujours bien s’entourer, car ensuite là bas pour exister il faut s’appuyer sur un réseau, des soutiens, des financements… Aujourd’hui il y a énormément d’accélérateurs, d’incubateurs, qui viennent les chercher – enfin, nous chercher – donc les opportunités sont là ! Pour trouver des conseils, de l’accompagnement, et même lever de l’argent.
J’ai vu dans une interview de vous récemment que vous disiez que vous trouviez qu’en France on tardait à inviter les leaders chinois ? Quelle pensée derrière cela ?
D’abord, on a vraiment défriché ce marché depuis 2011, et je suis très surprise de voir à quel point les médias ne percutent pas. Car on est très conservateurs, on est très réducteurs. On regarde la France, on regarde éventuellement l’Europe, puis on va surtout regarder les Etats-Unis… On est français quoi. Alors ça s’améliore, mais nous ne sommes pas les plus pressés. On croit toujours être les plus beaux, les meilleurs, que tout va bien chez nous et que ça nous suffit. Alors bien sûr je généralise ! Nous sommes dans un écosystème internet où il y a beaucoup de gens curieux, rapides, ouverts ! Donc il faut voir ça sous un prisme un petit peu large, ne serait-ce que les French Tech ! Il y en a partout, il y a une belle dynamique. Il y a des efforts, ça va sans doute dans le bon sens.
Quand j’avais commencé à lancer cet événement, j’ai essayé d’alerter. En 2011 et 2012, Les Echos sont venus. On ne peut pas dire qu’on ne s’y soit pas intéressé, mais je pense que ça pourrait être encore un petit peu plus. Il pourrait y avoir encore plus de curiosité, mais encore une fois, ça vient ! Je vois tous les partenaires qui accompagnent ChinaConnect, vous les journalistes qui venez… Les gens sont curieux, et finalement il faut aussi du temps pour rassurer, assurer peut être une crédibilité et faire en sorte que les gens reviennent. En entreprenant on est toujours pressés.
Quelles ambitions, quel positionnements, quels projets futurs pour ChinaConnect ?
D’abord, c’est de développer ChinaConnect à l’extérieur, avec le même positionnement qui est d’aider les occidentaux dans le décryptage de cet écosystème. Plus ça va, plus les gens deviennent… disons, plus connaisseurs, mais il y a un tel boulot à faire ! Je souhaite continuer à établir ce pont avec l’ouest : Paris, l’Europe,… C’est aussi faire grandir Paris, parce-que je veux que ce soit une vraie place européenne, ce qui représente un vrai challenge.
Dans un second temps, le faire aux Etats-Unis, parce-que cela fait des années que j’y vais pour repérer, et je me suis fait une conviction qui est qu’on attend ce genre d’événements. J’ai envie de faire un certain type d’événement là bas. Après avoir autant semer à Paris, je n’ai pas envie de faire un tout petit truc. Hors les financements ne suivent pas à la hauteur de ce que je souhaite réaliser. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui veulent s’offrir les Etats-Unis sans forcément s’offrir les moyens.
Et puis, c’est en effet aller mettre aussi un pied en Chine. J’ai développé un réseau là bas, et il faut le faire fructifier autrement. Il y a beaucoup de personnes qui pensent d’ailleurs que ChinaConnect est en Chine ! C’est toujours assez drôle quand j’en parle. Même la première année, quand j’ai voulu le monter, les gens me disaient « Mais pourquoi tu ne le fait pas en Chine ? » Je disais « En Chine il y a plein de gens pour faire des événements à ma place… Mais il n’y a rien en Europe, donc je veux le faire en Europe. » Après l’idée, c’est aussi de faire évoluer ce concept. C’est d’amener en Chine les secteurs qui attirent beaucoup les chinois et dans lesquels on excelle : le retail, l’automobile, le luxe au sense large, hospitalité,… Et puis, de la même façon que nous nous intéressons au marché chinois, les chinois s’intéressent à l’Occident (on va dire au sens large) et rencontrent les mêmes obstacles culturels notamment pour aller pénétrer d’autres marchés. Je vais donc faire la même chose, amener cet internet occidental en Chine pour les aider à faire ce pont là.
Pour finir sur une anecdote peut être plus personnelle – comment en es-tu arrivée à la Chine ? Qu’est-ce qui a déclenché en toi la passion de la Chine ?
C’est hyper simple ! C’est incroyable parce que c’est à la fois vraiment du pragmatisme, de l’opportunisme, et puis si ça dure c’est que ça me passionne et que j’adore parce que moi je suis incapable de faire des trucs qui ne me plaisent pas. On va dire en trois temps, limite le temps d’un accouchement.
C’est simple, c’est trois dates : Janvier 2010, je m’intéresse à ce marché, en commençant à regarder ce qui se passait sur le brand content chinois à travers d’une publication américaine – AdEdge, qui à l’époque avait une édition Chine. Août 2010 j’allais en Chine pour l’exposition universelle. J’ai pris 15 jours de vacances, et j’ai dédié une semaine à des interviews professionnelles, avec l’idée de sortir un brand content spécial Chine, qui a été diffusé en Septembre dans une newsletter qui s’appelle Offre Média B2B. Pendant 4 semaines, j’avais 4 articles assez conséquents. Ca a cartonné ! A l’époque j’étais freelance, je me suis dit « qu’est-ce que je fais? ». J’ai cherché sur Google « Conférence Chine Digital », il n’y avait rien. Fin Novembre 2010, je repartais en Chine avec le projet de ma conférence. La première était en Juin 2011. C’est ça la petite histoire. Et après, un peu… beaucoup de persévérance !
Un dernier mot pour les lecteurs ?
On a des journées de 24h et on ne peut pas s’intéresser à tout. Je dirais juste que la Chine, c’est très intéressant car on sort de notre zone de comfort : c’est une culture différente, et c’est beaucoup d’efforts pour s’intéresser à tout ça. Beaucoup de gens qui me disent « lance IndiaConnect ! », en 2012 au bout d’un an j’avais le Qatar et Dubai qui m’appelaient pour me dire « faites la même chose chez nous ! », et il y a quelques mois j’ai eu des australiens qui me disaient « vous devriez faire ça chez nous. » Je pourrais le faire partout, mais j’ai décidé de me concentrer déjà sur le marché chinois, plutôt que d’être une organisatrice d’événements sur les pays émergents.
D’une part, parce-que je crois que la Chine mérite un événement à part entière. De plus, j’ai plutôt envie de cultiver des relations que d’être tout le temps dans des avions et de ne faire que ça. Donc ça, c’est un choix personnel. Et puis, il suffit de voir le PNB de la Chine en 2016… 2025 c’est pareil, ils sont numéro 1 ! On en prend pas pour 15 ans, on en prend pour 50 ans avec ces gens là. Ca veut dire que cette culture, et la façon dont ils sont précurseurs de toute cette technologie, fait qu’on va de plus en plus collaborer avec eux… Ca va certainement impacter plein de choses. Plus tôt on s’y intéressera, mieux ce sera. Et c’est valable pour tous les jeunes !
Cette année, ChinaConnect réalise une de ses ambitions internationales puisque la conférence se tourne vers Shanghai. Parmi les speakers de cet événement qui se tiendra le 5 juillet prochain, Bessie Lee, CEO de Withinlink, Louis Yang, CEO de Musical.ly, Yvonne Wang, présidente de Hearst Media Chine, Antoine Pelletier, country manager de Caudalie Chine et Benjamin Claeys, CEO et cofondateur de LiHaoMa.