Les confinements consécutifs de 2020 liés à la pandémie de COVID-19 ont vu l’explosion du nombre d’applications de télémédecine. Rien d’étonnant puisque les systèmes de santé traditionnels ont cherché à se réinventer face aux nouvelles contraintes imposées par le virus. Ce qui s’est aussi multiplié pendant cette période, ce sont les solutions Edtech qui sont venues en aide aux enfants, et parents, enfermés chez eux, loin de leur salles de classes et de leurs enseignants. Et si ces deux services distincts répondaient parfaitement à des besoins grandissants autours de la planète, une seule application a pensé à les combiner, et elle s’appelle CoatConnect. Pensée et développée par un médecin égyptien spécialisé en télémédecine, elle est la première à proposer des formations, des cours, et des conférences à…nos médecins ! Car eux aussi veulent parfaire leur connaissances, apprendre de nouvelles choses, être au courant des dernières techniques et découvertes scientifiques, et rentrer en contact avec leurs homologues en dépit des distances. Cette application made in Le Caire est la première en son genre.
Rencontre-interview avec Mohamed Warda, le fondateur de CoatConnect, et Samir Abdelkrim, fondateur de StartupBRICS, depuis le terrain, au Caire.
Hello Mohamed ! Présentez-vous en quelques mots…
Je m’appelle Mohamed Warda, je le fondateur et PDG de CoatConnect. J’étais auparavant médecin spécialisé dans la radiologie. Aujourd’hui, je m’intéresse davantage à l’entrepreneuriat, à la e-santé et au management. Je suis titulaire d’un diplôme en gestion des soins de santé, en économie de la santé et en gestion hospitalière. Qu’est-ce que CoatConnect ? C’est une plateforme en ligne, un marché multifacettes pour les professionnels de la santé qui les met en contact avec des possibilités de formation et des opportunités professionnelles. Lorsque vous allez voir un médecin, qu’est-ce qui fait que votre expérience est bonne ou mauvaise ? C’est les connaissances du médecin (et non les prix, le système de gestion de la clinique, etc). C’est donc sur ce point que nous travaillons. Il y a un problème de pénurie de professionnels de la santé en quantité et en qualité. Et nous voulons le résoudre en les mettant en contact avec les possibilités d’éducation et d’emploi (emplois, stages, conférences…) dans un même lieu. En outre, des fonctionnalités de networking sont également prévues. Nous voulons créer un réseau et un marché qui réunissent en un seul endroit tout ce dont les professionnels de la santé ont besoin.
Nous mettons les professionnels de la santé en contact avec des possibilités de formation telles que des cours, des conférences, des formations, des ateliers, en ligne ou hors ligne. Nous essayons de répartir correctement les ressources humaines dans les écosystèmes de soins de santé au niveau mondial. Il y a une pénurie de professionnels de la santé dans le monde entier, de 10 millions de personnes. Nous en comptons aujourd’hui 45 millions et il nous en faudrait 55 millions selon l’OMS. En 2025, la pénurie atteindra 15 millions de professionnels, et nous aurons besoin de 65 millions d’entre eux. Nous allons donc clairement vers une catastrophe. Les États-Unis représentent à eux seuls 2,5 millions de la pénurie : ils ont plus de 40 % des dépenses mondiales de santé, et le marché mondial des soins de santé est évalué à 8 milliards de dollars. 3,5 milliards de dollars rien que pour les USA avec ses 300 millions de citoyens. Ils paient donc beaucoup plus que les autres continents. C’est pourquoi nous nous rendons sur le marché américain en janvier prochain. Nous faisons également partie du programme d’accélération de Falak et d’un programme d’accélération américain également appelé Startup Ventures.
Vous voulez donc vous étendre au Moyen-Orient et aux États-Unis, mais vous ne pensez pas à l’Afrique du Nord ?
Nous avons de bonnes chances de le faire, mais je pense que ce que nous avons fait ces six derniers mois est un projet pilote en Egypte et au Moyen-Orient. En fait, 50 % de nos revenus proviennent de l’extérieur de l’Égypte, mais maintenant les plateformes sont mises à jour pour les professionnels de santé arabophones et anglophones. La plupart des pays de la région, comme l’Égypte, étudient la médecine en anglais. C’est pourquoi nous voulons essayer le marché américain, car c’est un marché anglophone. Mais je pense que nous pouvons ajouter des langues, des devises et des régions parce que nous sommes une plaque tournante, nous faisons simplement correspondre les opportunités avec les professionnels. Il y a donc de bonnes chances pour cela. Mais pour l’instant, nous essayons de boucler les cycles sur le marché américain, nous devons donc d’abord y exercer une certaine traction. Cela nous permettra ensuite de pouvoir penser à s’installer en Afrique du Nord.
Combien d’utilisateurs avez-vous et quel est votre modèle de revenus ?
Aujourd’hui, nous avons 3 500 utilisateurs. Le mois dernier, nous en avions 1 500, ce mois-ci, nous avons une croissance mensuelle de 160%. Et nous avons commencé en avril dernier, donc nous ne sommes sur le marché que depuis 6 mois seulement ! La traction est très forte. Nous tirons nos revenus des commissions sur les transactions effectuées sur le marché.
Nous sommes donc confrontés à ce que l’on appelle le défi de l’œuf et de la poule. C’est comme Uber, il faut plus de passagers pour avoir plus de conducteurs, et plus de conducteurs pour avoir plus de passagers. Nous n’en sommes qu’à nos débuts, alors nous essayons d’attirer davantage de fournisseurs d’opportunités, comme les instituts médicaux, et d’autres parties prenantes qui peuvent nous offrir des opportunités dans l’écosystème des soins de santé afin que nous puissions attirer davantage d’utilisateurs.
Après avoir résolu ce défi de l’œuf et de la poule, je pense que nous pouvons faire quelque chose comme l’inscription des frais (listing fees) ou des abonnements pour les fournisseurs, et non pour le côté des professionnels. Pour les professionnels de la santé, ce sera un service gratuit, vous n’aurez pas à payer. Ils paieront s’ils vont à une conférence, une formation, etc. mais ils ne paieront pas de frais supplémentaires. Si quelqu’un doit payer un supplément ou se faire prélever une commission, ce seront les instituts médicaux, et non les utilisateurs.
Pouvez-vous décrire l’écosystème égyptien et sa dynamique ?
Je pense que l’Égypte est la nouvelle Inde. Au cours des 15 dernières années, l’Inde a été le premier réservoir de talents pour les entreprises et les start-ups internationales. Aujourd’hui beaucoup d’entreprises du Moyen-Orient déplacent leurs équipes technologiques et opérationnelles en Egypte, ainsi que leurs services à la clientèle. Parce que nous avons un bon réservoir de talents dans les Data Sciences, le Maching Learning, l’IA. J’ai vu des initiatives gouvernementales financer l’obtention de ces diplômes car il y a beaucoup de soutien gouvernemental dans ce domaine. Et si vous recherchez un développeur front-end ou back-end, par rapport à des endroits comme Dubaï ou New York, vous pouvez lui verser 20 ou 50 % du salaire moyen parce que le coût de la vie est beaucoup moins élevé ici. C’est pourquoi pour moi, l’Egypte, c’est la nouvelle Inde !
Comment mesurez-vous l’impact social de votre entreprise ?
Notre plan à court terme, en créant CoatConnect, est de donner aux professionnels de la santé tout ce dont ils ont besoin. Ce que nous faisons, c’est leur donner les connaissances nécessaires pour qu’ils puissent traiter leurs patients plus efficacement. Nous ne proposons pas directement un service aux patients, mais nous leur offrons indirectement un service de haute qualité par l’intermédiaire des professionnels de la santé qui passent par notre plateforme. Toutefois, notre impact social à long terme est d’améliorer l’affectation des ressources humaines du personnel de santé et d’améliorer l’adéquation entre ces ressources et les possibilités de formation. Notre objectif est donc d’améliorer la qualité et de la quantité du personnel de santé.
Comment avez-vous fait face à la crise du COVID-19 ? Et comment le programme d’accélération vous a-t-il aidé ?
Nous avons été touchés comme beaucoup d’autres entreprises. Cependant, comme nous sommes une plateforme éducative offrant des opportunités en ligne et hors ligne (la plupart des conférences et ateliers ont été annulés ou reportés), la formation numérique a connu un boom ! Nous avons donc fait pivoter notre modèle afin d’optimiser et d’être plus orientés vers les opportunités en ligne, comme les webinaires, les cours et les conférences en ligne. Le contenu en ligne ne représentait que 10 % de la plate-forme, mais il a connu une croissance spectaculaire, car les événements en personne ont été annulés. Falak nous a soutenus financièrement et par de l’accompagnement pour que nous puissions traverser cette période difficile.
Est-il facile de trouver des investisseurs en 2020? Qui sont-ils ? Quel état d’esprit les gens doivent-ils avoir pour les convaincre ?
Nous avons des business angels, nous avons des VCs, des entreprises de capital-risque, mais nous avons plus de startups et de talents ici par rapport à Dubaï ou à l’Arabie Saoudite mais par contre le Golfe a peut-être plus d’argent et d’instituts de financement que l’Égypte. En Égypte, il y a un déficit de financement : si vous faites une pré-série A, ou une série A ou B, nous avons ici plusieurs VC qui peuvent mener votre cycle et faciliter votre processus. Cependant, si vous collectez quelques centaines de milliers de dollars, il y a un énorme déficit. Les accélérateurs essaient de combler ce vide, la plupart des accélérateurs égyptiens essaient d’offrir entre 25.000 et 65.000 dollars. Il ne s’agit que de 3 à 4 mois pour une petite entreprise. Je pense que nous avons plus d’incubateurs, nous avons quelques accélérateurs, mais les montants sont trop faibles si vous voulez aller à l’international, mais ça suffit pour les entreprises en phase de démarrage. Il y a un gros manque pour les billets entre 100.000 et 300.000 US$.
Quels conseils donneriez-vous à un nouvelle startup qui tente de percer sur le marché égyptien ?
Je dirais qu’il faut être dix fois meilleur que ce qu’il y a déjà sur le marché. Pas juste 2 ou 3 fois, cela ne suffit pas car on ne peut pas faire les mêmes choses encore et encore avec des noms différents et des conceptions différentes. Pour cela il faut trouver de nouvelles idées. C’est ce dont chaque écosystème a besoin. Mais il faut aussi éduquer et changer la mentalité des investisseurs égyptiens, car beaucoup d’entre eux ne prenne pas beaucoup de risques. Ils essaient de copier ce qui a réussi ailleurs en Europe et dans la Silicon Valley. Et cela signifie que lorsque vous leur présentez des idées toutes nouvelles, il est probable qu’ils n’investiront pas. Si Uber, ou Facebook ou Whatsapp avaient été créés ici, ils ne seraient jamais devenus ce qu’ils sont aujourd’hui. Prenez une start-up sans revenus de départ comme WhatsApp, leurs investisseurs les ont soutenus pendant 10 ans sans aucune sorte de revenus, et pourtant elle a été vendue pour 18 milliards ! Aujourd’hui, elle vaut plus de 30 milliards. Lorsqu’il s’agit d’investissement en capital-risque, les choses sont différentes. Je pense donc que les investisseurs ici en Égypte doivent comprendre cela. Il y a un vrai travail de fond à faire à ce niveau.
Que pouvez-vous dire de l’esprit d’entreprise égyptien ?
Je pense qu’en Egypte, nous sommes des entrepreneurs par nature. Nous n’étions pas auparavant des entrepreneurs numériques ou techniques. Mais maintenant, c’est le moment. Beaucoup d’entrepreneurs faisaient des business non technique et se tournent maintenant vers des affaires plus techniques et plus numériques. Il existe d’énormes opportunités dans tous les secteurs. L’Égypte est en train de se développer pour accueillir cet écosystème en pleine expansion. Chaque jour, j’entends parler de l’ouverture d’un nouveau fonds, d’une nouvelle startup avec une idée géniale… L’écosystème est encore en train de se construire. Nous sommes un marché émergent atypique et les choses s’améliorent : les infrastructures s’améliorent, la vitesse de connexion à Internet s’améliore également, etc…