Première application de livraison géolocalisée à la demande en Afrique, Paps entend bien bouleverser le secteur du e-commerce sur le continent africain ! Bamba Lo, son fondateur, nous dévoile les ressorts de la création de son projet et sa vision du secteur du e-commerce et de l’économie du numérique en Afrique dans une interview avec Heloïse Lebrun-Brocail pour les lecteurs de StartupBRICS.
Paps_App est la première application de livraison géolocalisée à la demande en Afrique. De quel constat est venue la volonté de lancer cette application ?
Tout est parti d’un constat utilisateur : j’avais à l’époque un centre d’appels qui a été amené à vendre des abonnements téléphoniques. Le taux d’encaissement étant bas au départ, nous avons décidé de commencer à livrer la puce, pour aller jusqu’au bout de la démarche client, et faire augmenter ce taux. Petit à petit, les clients ont commencé à formuler d’autres types de demandes et de besoins, tels qu’aller récupérer des clefs oubliées dans une salle de sport, etc. Nous nous sommes donc peu à peu mis à faire du service pour les particuliers, pour couvrir ce type de besoins.
Certains acteurs proposaient déjà ce type de services, mais les clients n’étaient pas forcément satisfaits ou attachés à une marque particulière. Nous nous sommes alors dits que nous pouvions innover sur cet aspect, en lançant un produit duplicable assez facilement à grande échelle, et avons décidé de lancer l’application.
La version bêta de Paps est sortie le 10 octobre, et la première version sortira dans quelques semaines.
Paps_App repose à la fois sur la constitution de réseaux de clients et sur l’algorithme « Best match », permettant de proposer aux clients le livreur qui leur est le plus adapté ; quelle est alors la plus-value de ce service par rapport à ceux des autres services de livraison qui existent déjà en Afrique ?
Nous sommes partis d’un constat très simple : parfois, lorsqu’un client commande de manière traditionnelle au téléphone, il arrive que le livreur se trouve très loin du lieu de ramassage du colis. Nous avons voulu raccourcir les délais, et à plus long terme diminuer les tarifs, en faisant en sorte que les livreurs les plus proches du lieu de ramassage opèrent sur la course.
L’intérêt est double : satisfaire le client le plus rapidement possible, et être véritablement un employeur responsable : en permettant aux livreurs de pouvoir effectuer plus de courses, nous leur permettons d’augmenter son volume de courses, et donc ses revenus. Certains livreurs gagnent jusqu’à 200000 francs CFA, sachant qu’aujourd’hui, le salaire moyen d’un livreur est de 60 000 francs CFA.
L’intérêt est double : satisfaire le client le plus rapidement possible, et se positionner en employeur responsable.
L’application permet également de suivre la course en temps réel, et est extrêmement flexible en ce qui concerne le mode de paiement : le client peut aussi bien payer en mobile money qu’en liquide. Contrairement aux livreurs de la concurrence, nos livreurs ont par ailleurs toujours de la monnaie sur eux.
La constitution de réseaux de clients nous permet de segmenter notre clientèle. Nous avons différents types de clients:
- Les professionnels, envers qui nous souhaitons nous positionner comme un service de poste qui permet la livraison de factures, qui en Afrique doivent toujours être déposées en mains propres.
- Les restaurateurs ou e-commerçants, où là le but est d’intégrer notre API à leur système, pour qu’ils puissent nous envoyer directement leurs courses.
- Le particulier : a tout ce qu’il veut quand il veut, et qui utilise l’appli comme un service de conciergerie.
Selon toi, quels sont les principaux freins au développement de plateformes de e-commerce comme Paps-App en Afrique de l’Ouest ?
En ce qui concerne notre volet BtoB, notre principal problème a été la question de la disponibilité des livreurs. Nous travaillons aujourd’hui avec les plus grands e-commerçants du Sénégal, qui, pour beaucoup, travaillaient avec des sociétés leur ayant affecté une certaine disponibilité de flotte, mais qui ne pouvaient pourtant pas toujours accéder à un livreur au moment voulu. En segmentant géographiquement les zones de livraison, notre service permet de répondre ce problème.
La question de la disponibilité de liquidités a également été soulevée. Chez nous, chaque livreur a un fond de caisse, ce qui lui permet d’aller directement chez l’e-commerçant et de gagner du temps. En conséquence, chaque course bénéficie donc d’une assurance.
Est-ce que selon toi des éléments comme un éventuel manque de confiance en le numérique ou le fait que le mobile money soit moins développé en Afrique de l’Ouest que dans d’autres parties de l’Afrique sont également des freins qui doivent être soulignés ?
Oui. D’ailleurs nous sommes aussi un outil qui permet d’avoir confiance en ces technologies là. Nous avons des clients qui n’utilisaient pas le mobile money avant de commencer à utiliser la plateforme, mais qui ont commencé à l’utiliser parce qu’ils y voyaient un aspect pratique.
Pour susciter la confiance, nous misons tout sur la visibilité et la transparence : sur la plateforme, le client dispose de toutes ses factures, de l’historique de toutes ses commandes, et son paiement n’est validé qu’une fois qu’il a reçu son colis.
Pour autant, même si le mobile money est très développé en Afrique de l’Ouest, nous tenons vraiment à être extrêmement flexible, pour que le client soit le plus à l’aise possible : il peut ainsi commander aussi bien via la plateforme d’appels, que par Messenger, WhatsApp, etc., et payer en mobile money ou en liquidités. Dans un avenir proche de développement, nous aimerions également mettre en place la livraison par drones, d’abord pour notre segment BTOB, pour des grandes institutions comme la Poste.
Pour susciter la confiance, nous misons tout sur la visibilité et la transparence : sur la plateforme, le client dispose de toutes ses factures, de l’historique de toutes ses commandes, et son paiement n’est validé qu’une fois qu’il a reçu son colis.
Ce serait une façon de prendre de court différents géants qui pourraient souhaiter se lancer sur ce segment, comme Amazon, etc. ?
Oui, exactement.
Nous sommes déjà en contact avec une startup de la Silicon Valley qui développe ce type d’outils. C’est vraiment quelque chose sur lequel il y a un avenir, surtout sur un segment BtoB pour le moment, pour des raisons de coûts, d’investissements, et de rentabilité à moyen terme. A long terme, c’est aussi quelque chose qui pourra être développé envers le grand public, pour tout ce qui concerne la livraison de produits de santé par exemple.
Tu mentionnes une startup de la Silicon Valley : comment vois-tu le transfert de technologies entre les startups des marchés émergents et celles de d’autres marchés, comme celles de la Silicon Valley par exemple ?
Selon moi, si nous sommes certes émergents dans certains domaines, nous sommes vraiment pionniers dans d’autres, comme le mobile money par exemple. Nous sommes maîtres de cette technologie dans l’approche avec le marché, et nous avons un temps d’avance. Plus globalement, nous sommes pionniers sur tout ce qui est fintech et services autour du mobile.
Concernant ce partenariat plus spécifiquement, il faut savoir que nous avons un gros réseau à l’international. Nous recevons aussi pas mal de conseils de la part d’Afrobytes ou de The Family, et sommes également très connectés avec les différents hubs technologiques que nous connaissons, qui nous permettent de rester au fait des dernières innovations technologiques.
Selon nous, notre concurrence n’est pas en Afrique ou au Sénégal, mais à l’international. C’est pourquoi nous essayons de toujours rester à la pointe de l’innovation, de façon à pouvoir contrer l’arrivée de tout acteur international sur notre marché.
Si nous sommes certes émergents dans certains domaines, nous sommes vraiment pionniers dans d’autres, comme le mobile money par exemple. Nous sommes maîtres de cette technologie dans l’approche avec le marché.
Tu mentionnais les hubs technologiques, est-ce que tu les considères comme des partenaires essentiels, comme des piliers du développement de l’économie du numérique en Afrique ?
Oui, ils sont essentiels, pour plusieurs raisons.
Déjà, il est très difficile pour une startup classique de mener des actions isolées car, par définition, une startup est une société en faillite et qui cherche toujours le meilleur business model pour se développer et ensuite être une entreprise. Donc elles n’ont souvent pas de fonds, un réseau plus personnel que professionnel…
Les incubateurs représentent véritablement un moyen de se développer rapidement et de gagner du temps, surtout pour tout ce qui concerne les études de marché, les réseaux de distribution, les partenariats. Preuve en est : c’est par ces hubs technologiques qu’est passé Mark Zuckerberg lors de sa tournée africaine.
Les incubateurs représentent véritablement un moyen de se développer rapidement et de gagner du temps.
Comment envisages-tu le développement de l’économie du numérique en Afrique de l’Ouest dans les prochaines années ? Est-ce que tu considères qu’il s’agit d’un moteur pour le développement du continent de manière plus générale ?
Oui, c’est vraiment un moteur pour le développement du continent, il n’y a pas d’autre moteur. Au Sénégal par exemple, 300000 jeunes sortent chaque année du système scolaire.
Des services de formation au numérique comme Andela au Nigéria sont donc essentiels, puisque je pense qu’aujourd’hui chacun peut être autonome pour créer un produit. Créer un produit numérique est assez simple, et il y a plein d’idées possibles, même si ça ne garantit pas que le projet sera viable. Il y a encore pas mal de services qui doivent être numérisés et qui ne le sont pas : les services administratifs, l’agritech, la fintech, les services aux particuliers, aux entreprises. Pour moi, la révolution industrielle est aujourd’hui numérique, et passe par les startups, et par la responsabilité de chacun de se former au numérique et se saisir ces opportunités de digitalisation.
Ca se voit d’ailleurs aux Etats-Unis : les géants du web que sont Facebook, Google, Amazon et Apple étaient initialement des startups.
La révolution industrielle est aujourd’hui numérique, et passe par les startups et par la responsabilité de chacun de se former au numérique et de saisir ces opportunités de digitalisation.
L’application Paps_App a été lancée le 10 octobre à Dakar, Abidjan et Bamako. A t-elle rencontré le succès que tu escomptais depuis ?
Oui, absolument. Nous avons choisi de partir d’un échantillon, car l’objectif en lançant la version bêta n’était pas d’obtenir un nombre d’utilisateurs critique pour une rentabilité, mais d’obtenir des retours de profils différents, pour pouvoir ensuite ajuster l’application et lancer un produit qui se rapproche de la perfection.
Nous avons obtenu des retours de profils très variés, allant de l’étudiant aux CSP+. Le produit qui va sortir sera donc vraiment abouti, et capable de s’adapter à tous les marchés dans lesquels il sera disponible, ce qui est essentiel pour nous car nous partons vraiment avec l’objectif de faire un produit qui soit global.
Avec deux start-ups à ton actif, tu incarnes véritablement l’essor sans précédent de l’entreprenariat actuellement en cours en Afrique : y a t-il un message que tu souhaiterais transmettre aux jeunes entrepreneurs africains qui hésitent peut-être encore à lancer leur propre startup ?
Je n’ai pas la prétention d’avoir la recette magique. La recette magique se fait en fonction du marché. Aujourd’hui, on ne peut pas lancer une startup en se disant « j’ai une bonne idée, je la lance, ça va marcher », parce que cette idée ne correspondra pas forcément aux attentes et besoins du marché. Il faut donc créer un produit avec le marché, c’est-à-dire avec des cibles, des utilisateurs potentiels, récupérer ensuite leurs retours, puis seulement lancer. Et même cette approche ne garantit pas nécessairement le succès.
Il faut aussi beaucoup de courage, et ne pas forcément avoir un objectif de levée de fonds ou de financement. L’objectif est de pouvoir créer de la valeur directement, et de répondre à un besoin bien exprimé.
Enfin, il est essentiel de garder en tête qu’une startup n’est pas que technologique ; la technologie est juste un moyen de répondre à un besoin. Il faut donc orienter ça avec des vraies compétences commerciales et marketing pour pouvoir faire la différence.
Je n’ai pas la prétention d’avoir la recette magique. La recette magique se fait en fonction du marché. L’objectif est de pouvoir créer de la valeur directement, et de répondre à un besoin bien exprimé.