En sortant de prison, Sihle Tshabalala a créé une école de codage afin de donner une deuxième chance aux anciens détenus, mères adolescentes et jeunes tournés vers la drogue, en leur permettant de réintégrer la société avec sa startup Quirky 30. Alliant technologie et apprentissage, Sihle a développé une solution disruptive qui permet à ces personnes d’échapper au cercle vicieux de la pauvreté et de la criminalité et trouver un métier prometteur tel que codeur. Cette formation d’un an en compétence numérique est gratuite. Entretien réalisé par Henri Dufourcq, Tech Blogger et StartupBRICS Connector en Afrique du Sud.
Je dis toujours aux gens que je suis dans la vente d’espoir. Mon but est d’utiliser la technologie comme moyen afin d’éclairer la population et de lui faire prendre conscience qu’elle peut-être en charge de son destin
Parlez-moi un peu de vous, Sihle Tshabalala ?
Bien sûr, je suis né dans le township de Langa dans la banlieue de Cape Town. J’ai eu une enfance à la fois heureuse et difficile. Après avoir arrêté l’école à 16 ans, j’ai « trainé » dans les rues pendant quelques années, rejetant l’idée de poursuivre des études à l’université. Dès l’âge de 18 ans, j’ai commencé à participer à des braquages et je me suis fait arrêter par la police à 19 ans. J’ai passé 11 ans en prison dont 4 ans à Pollsmoor, connue pour avoir abrité un prisonnier célèbre du 20ème siècle, Nelson Mandela.
Un jour, un de mes étudiants m’a posé cette question : « Quel métier puis-je commencer à apprendre qui sera encore pertinent dans 15 ans ? » Je n’ai pas pu (ou su) lui donner de réponse.
Comment en êtes-vous arrivé à l’idée de Quirky 30 ?
J’ai eu l’idée en prison. Après avoir été transféré à la prison de Grampian, j’ai commencé à donner des cours de maths et d’anglais aux autres prisonniers. La demande ne faisant qu’augmenter, j’ai créé un programme de réhabilitation du nom de « Group of Hope ». Le programme « Group of Hope » est vraiment la racine de Quirky 30. Un jour, un de mes étudiants m’a posé cette question : « Quel métier puis-je commencer à apprendre qui sera encore pertinent dans 15 ans ? » Je n’ai pas pu (ou su) lui donner de réponse.
Cette question a suscité une réelle curiosité en moi et j’ai compris que je devais apporter une vraie valeur ajoutée si je voulais activement participer à la réhabilitation de ces prisonniers. J’ai donc commencé à m’intéresser au codage mais à cause des restrictions en prison, je n’ai pas pu apprendre.
En sortant de prison à l’âge de 30 ans, j’ai fait l’amer découverte que très peu de choses avaient changé en 11 ans. Les townships demeuraient toujours aussi pauvres et les jeunes continuaient à suivre la voie tracée direction prison. Autodidacte, j’ai appris seul à coder et après quelques années, j’ai créé un programme innovant du nom de « Brothers for all ». « Brothers for all », prédécesseur de « Quirky 30 » est une école de codage basée dans les bidonvilles et destinée aux anciens prisonniers, aux jeunes ayant arrêtés les études et enfin aux jeunes mères. De cela, a émergé Quirky 30 il y a un peu plus d’un an.
60% des personnes sont chômeurs, 70% n’ont pas de diplôme, cette formation est un vrai tremplin pour arriver à une activité viable sur le long terme
Concrètement, qu’est-ce que Quirky 30 ?
Quirky est mon bébé. Quirky veut dire inhabituel, ce qui signifie exactement ce que nous faisons. Quirky 30 a mis en place un programme d’un an divisé en deux parties. La première, d’une durée de 8 mois, est une formation intense en codage, en particulier du language html5, CSS3 et Java Script. Nous couvrons quatre principales activités qui sont le coding, le graphic design, le cloud et l’entreprenariat.
Cette formation est suivie d’une période de quatre mois de stage(s) dans notre entité commerciale, « Quirky innovations » où les élèves réalisent des projets pour des clients externes.
Notre formation est vraiment à part car c’est la seule présente dans les bidonvilles. Je pense fermement que la Tech à un rôle vital à jouer dans la résolution des besoins sociaux dans ces communautés. Dans ces milieux, où 60% des personnes sont chômeurs, 70% n’ont pas de diplôme, cette formation est un vrai tremplin pour arriver à une activité viable sur le long terme. De plus, Quirky 30 suit les objectifs de développement durable de l’ONU, répondant à 9 objectifs sur 17.
Quel est le business model de Quirky 30 pour être durable ?
En plus de Quirky 30, nous avons créé Quirky innovations qui est le bras armé de notre projet. A travers cette entité, nous fournissons des solutions technologiques à des entreprises clientes. Ceci nous permet de générer un revenu durable qui alimente Quirky 30 et qui nous donne cette liberté de ne pas dépendre simplement de dons ou d’autres organisations. Nous avons aussi développé des partenariats avec certaines entreprises qui désirent recruter nos élèves sur le long terme.
Quel a été l’impact de Quirky 30 sur les communautés depuis sa création ?
C’est encore trop tôt pour avoir de vrais chiffres sur l’impact que nous avons eu sur ces communautés
Nous ne sommes présents réellement que depuis 2 ans. Nous avons environ 22 diplômés par an et nous visons 100 l’année prochaine ! Nous avons été approuvés par la ville de Cape Town comme une initiative sociale à fort potentiel ce qui va nous permettre de bénéficier de plus grands locaux et d’une meilleure visibilité. La ville de Cape Town a pour ambition de devenir la Silicon Valley d’Afrique et mise donc sur des projets alliant technologie et développement social.
Pouvez-vous me donner un exemple d’un de vos élèves ?
Mon premier élève, Sibusiso Gatuza, est maintenant employé en tant que développeur junior dans une agence de marketing digital à Cape Town. J’ai une toute particulière attention à Sibusiso car il est le premier élève de mon école, il a bien voulu me faire confiance et participer à cette aventure qui n’a cessé de continuer. Ce qu’a fait Sibusiso de son premier salaire est une très belle anecdote. Habitant dans une maison composée de seulement deux pièces où vivaient 9 personnes, Sibusiso a utilisé son premier salaire afin de construire une troisième pièce et ainsi agrandir la maison. Je suis très heureux que ma formation ait permis à ces jeunes de développer et d’investir au sein de la communauté.
La ville de Cape Town a pour ambition de devenir la Silicon Valley d’Afrique et mise donc sur des projets alliant technologie et développement social.
Pensez-vous avoir inspiré d’autres entrepreneurs en herbe dans les townships ?
Tout d’abord, ce que j’espère le plus, c’est d’avoir changé les mentalités des personnes vivant dans les townships. Mon but est de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas uniquement des consommateurs de technologies mais qu’ils peuvent aussi être des créateurs de technologie. Mon ambition est de donner de l’espoir à ces personnes, de leur faire comprendre qu’ils peuvent devenir des entrepreneurs et pas seulement de la main-d’œuvre bon marché. J’espère voir de plus en plus de jeunes entrepreneurs développer des solutions pour répondre aux problèmes réels des townships. Ils doivent rendre à la communauté ce qu’ils ont appris, si possible sous la forme de projets sociaux qui amélioreraient le bien-être de la communauté.
Mon ambition est de donner de l’espoir à ces personnes, de leur faire comprendre qu’ils peuvent devenir des entrepreneurs et pas seulement de la main-d’œuvre bon marché.
Quel est votre prochain projet ?
L’année prochaine nous allons créer un incubateur de startups dédié aux personnes des townships afin que ces personnes qui font face à nombre défis économiques et sociaux peuvent trouver par elles-mêmes des solutions innovantes. Je pense que ces personnes ont simplement besoin d’être poussées dans la bonne direction, c’est tout. De plus, notre incubateur apportera une forte valeur ajoutée car les startups incubées n’auront pas besoin de lever du « seed capital » pour, par exemple, payer des développeurs car nous leurs en fournirons gratuitement grâce à Quirky 30.
Quelle est votre opinion sur le développement économique et social de l’Afrique du Sud dans les 10 années à venir ?
L’économie en Afrique du Sud ne peut que se développer si le secteur privé change sa façon de recruter. Il n’y a aucun programme de recrutement qui vise la majeure partie des gens en Afrique du Sud, c’est-à-dire des gens sans diplômes, or celle-ci regorge d’innombrables talents. Je pense que le gouvernement dans l’état actuel ne peut pas résoudre le problème seul, c’est pour cela que le secteur privé doit participer à l’effort national en terme(s) de formation. Investir dans ces personnes permettra à celles-ci de se développer au sein de la société, de créer une nouvelle classe moyenne et ainsi leur permettre de mieux contribuer à l’économie Sud-Africaine.
L’économie en Afrique du Sud ne peut que se développer si le secteur privé change sa façon de recruter.
Une citation pour la route ?
Je dis toujours aux gens que je suis dans la vente d’espoir. Mon but est d’utiliser la technologie comme moyen afin d’éclairer la population et de lui faire prendre conscience qu’elle peut-être en charge de son destin si elle le souhaite.
Enfin pour moi, il s’agit d’inspirer ces enfants qui sont dans des situations difficiles, à voir la vie en 3D et à rêver différemment.