#COVID-19 Series : Au Rwanda, le kLab au coeur de la lutte contre le coronavirus

Par Julie Lanckriet & Philippine Leclerc, StartupBRICS

Alors que le Covid-19 poursuit sa course en Afrique, entrepreneurs et startupers se mobilisent pour endiguer l’épidémie au Rwanda. C’est le cas du kLab, l’un des tous premiers Tech Hubs du pays où StartupBRICS retrouve Aphrodice Mutangana, son ancien directeur et serial-entrepreneur. Le kLab est ainsi le laboratoire d’une toute nouvelle initiative rwandaise : l’application Covid-19-Rwanda, qui permet à tout individu en possession d’un téléphone portable de s’auto-diagnostiquer et de rentrer en contact avec des professionnels de santé. Retour sur cette initiative organique avec Aphrodice Mutangana, qui en a piloté le développement. (Entretien réalisé le 26 juin 2020)

StartupBRICS : Pourriez-vous revenir sur l’irruption du Covid au Rwanda et sur la manière dont les pouvoirs publics ont réagi à cette menace ?

Aphrodice Mutangana : Le gouvernement a été très réactif et a déployé des efforts conséquents pour endiguer la pandémie sur le territoire. Il a été décrété un confinement total de la population dès la fin mars, et ce pour 50 jours. Les règles étaient très strictes, et nous n’avions pas l’autorisation de sortir à 1 km de notre domicile comme cela pu être le cas en France. Grâce à ces efforts, aujourd’hui (le 26 juin 2020) on dénombre 787 cas de Covid, dont 370 ont été guéris, 415 malade et 2 décès. Le gouvernement a pris la mesure de la menace et a tout fait pour venir en aide à la population. Les personnes asymptomatiques ont ainsi été hospitalisées de manière préventive pour empêcher toute contamination potentielle. Au Rwanda, dès qu’une personne est positive, elle est traitée rapidement et gratuitement. Des espaces ont même été préparés pour accueillir les patients du Covid avant même l’arrivée des premiers cas sur le territoire. Encore une fois, le gouvernement a vraiment anticipé la menace.

SB : Votre application Covid-19-Rwanda a été développée pour répondre à ce contexte : pourriez-vous nous présenter ses fonctionnalités et le parcours utilisateur ?

AM : L’idée de départ, c’était l’autodiagnostic. L’un des grands avantages de notre application, c’est qu’elle peut être utilisée sur tous les téléphones grâce au module USSD(*). Cela ne requiert ni internet, ni téléchargement et il suffit pour l’utilisateur de composer le *114# pour y accéder. L’application est disponible en Kinyarwanda, en anglais ou en français. Concernant le parcours utilisateur, il doit donc tout d’abord sélectionner sa langue. Ensuite, l’application lui propose un ensemble de questions lui permettant de renseigner ses symptômes, son comportement sur les derniers jours et son lieu d’habitation. Vous avez des questions du type : « est-ce que tu as de la fièvre », « est-ce que tu as une toux sèche », « est-ce que tu as des problèmes respiratoires ? ». Par la suite, on interroge l’utilisateur sur ses déplacements : « As-tu rencontré une personne qui présentait des symptômes du Covid, ou quelqu’un qui a été testé positif ? », « as-tu récemment voyagé à l’étranger » etc … Enfin, l’utilisateur renseigne sa province et son district. Tout au long du questionnaire, des messages personnalisés s’affichent en fonction des réponses enregistrées. En cas de réponse négative, des messages de prévention apparaissent comme « restez chez vous », « maintenez la distanciation physique si vous sortez » etc… En cas de réponses positives répétées, l’utilisateur est informé qu’il sera contacté par un médecin.

Les réponses sont ensuite envoyées dans un centre médical partenaire de l’application, les Medical Center, une organisation gouvernementale en charge de la gestion du Covid. Ce sont leurs médecins qui gèrent le traitement des données récoltées, et les nombreux indicateurs de l’application leur permettent de suivre la progression du virus par zone géographique.

SB : l’USSD, ou Unstructured Supplementary Service Data est une connexion en temps réel qui s’établit entre un utilisateur et un serveur. En renseignant un code, l’utilisateur accède à un menu déroulant et peut ainsi échanger instantanément des données avec son interlocuteur.  
Visuels de l’application Covid-19 Rwanda

SB : Concernant le développement de l’application à présent : quels ont été vos partenaires ? Avez-vous connaissance d’autres applications rwandaises de ce type ?

AM : L’application a été développée avec le soutien du gouvernement, qui a accueilli l’initiative à bras ouverts.  Le support technique est venu de la Rwanda Information Society, qui pilote les sujets liés à la Tech au niveau national. C’est eux qui ont contacté les différents opérateurs et supervisé le développement du projet. Cette application est vraiment le produit d’un travail collectif, et a été développée en moins de vingt jours ! Les opérateurs téléphoniques, MTN et Airtel, se sont mobilisés, tout comme les médecins du Rwanda Medical Center et le secteur privé, avec l’implication d’entreprises comme le Klab, Esicia  LTD, et la Rwanda Information Society… Notre objectif à tous était de contenir la pandémie et d’aider les gens. La gratuité de l’application, et le fait qu’internet ne soit pas nécessaire à son utilisation, ont fait son succès en la rendant très accessible aux utilisateurs.  

« Covid-19-Rwanda est vraiment le fruit d’un travail collectif : le kLab, le gouvernement, les opérateurs téléphoniques, les entreprises… Notre objectif à tous était de contenir la pandémie et d’aider les gens »

Aphrodice Mutangana

Au Rwanda, tout le monde s’est mobilisé autour du Covid et de ses conséquences. Mais à ma connaissance, notre application est l’unique application rwandaise de ce genre. Contrairement au reste de l’Afrique où de nombreuses solutions issues de la Fintech et du e-commerce sont apparues pour aider les gens lors du confinement. Elles leur ont permis d’obtenir des informations sur le virus, les ont encouragés à rester chez eux, à développer l’entre-aide etc… En fonction des populations visées, ces app ont pu être développées sur IOS ou Android.

SB : Pour parler à présent de l’impact du Covid sur les écosystèmes, comment le kLab a-t-il réagi face à la crise ? Comment vous êtes-vous adaptés face aux nouveaux défis qu’elle a fait apparaitre ?

AM : La pandémie a pris tout le monde par surprise. Chez kLab, notre première réaction a été de faire passer en digital tous nos projets, toute notre documentation comme nos conférences. Nous avons dû fermer nos locaux en raison du très grand nombre d’intervenants, de collaborateurs et de projets en cours et à ce jour, le Tech hub est toujours fermé : on poursuit le travail à distance. Il a fallu s’adapter aux contraintes techniques que cela représentait. En effet, au début de la pandémie, le réseau internet rwandais n’était pas assez solide pour garantir à ses utilisateurs un accès illimité et fluide. Grâce à la mobilisation du gouvernement et des opérateurs cela s’est arrangé, mais le plus grand défi pour nos équipes était vraiment celui-là : passer d’un lieu de travail disposant d’un internet haut-débit, à la maison qui n’en disposait pas.

« Notre activité n’a pas souffert du Covid, bien au contraire, nous avons réussi à nous adapter : trois programmes ont été lancés en même temps, pour apprendre aux enfants à coder et former les entrepreneurs en informatique »

Aphrodice Mutangana

Mais l’activité de KLab n’a pas souffert pour autant, au contraire ! Trois programmes ont été lancés en même temps, au moment même de la pandémie et ont rencontré un franc succès auprès de nos utilisateurs. L’un d’entre eux vise à apprendre le codage informatique aux enfants. Ce programme rentre par ailleurs dans la vision du gouvernement rwandais, qui souhaite valoriser l’éducation et ses talents avec une économie « fondée sur la connaissance ». Dans le cadre de ce projet, plus de 100 enfants apprennent les bases du codage et créent leurs site web. Organisés par tranche d’âge, chaque groupe dispose d’une approche adaptée à son niveau, avec des groupes dès 6-8 ans, puis 9-15 ans, 16-19 ans, 20-23 ans et enfin un groupe dédié aux spécialistes. Ces derniers sont des élèves souhaitant se perfectionner en vue de devenir experts de leur programme de codage, que ce soit en Python ou en Java.

Un autre programme qui a été lancé pendant la pandémie est à destination des entrepreneurs qui souhaitent se former en informatique.

Comme vous pouvez le constater, en dépit de la situation et des difficultés rencontrées, notre Tech Lab a réussi à s’adapter !

SB : Plus largement pour finir, comment diriez-vous que les startups rwandaises ont réagi face à la pandémie, et comment envisagez-vous l’avenir ?

AM : L’écosystème rwandais des startups est solide, car tous les organes de la société se mobilisent pour faire prospérer leurs talents. Le gouvernement s’associe au secteur privé, aux investisseurs et aux universités, ce qui confère aux startups une structure sûre pour se développer. En plus de ce soutien structurel, les startups, comme nous, se sont adaptées. Elles ont ajusté leurs services pour pouvoir continuer à prospérer en développant par exemple des solutions vocales, des services de livraison, des moyens de paiement par téléphone etc… Toutes se sont concentrées à proposer des solutions à impact.

« Je suis confiant pour l’avenir ! Nos startups ont démontré leur capacité à s’adapter, à trouver des solutions dans des temps difficiles. En s’adaptant, on crée de la richesse, et alors les investisseurs sont là. »

Aphrodice Mutangana

En résumé, je suis confiant pour l’avenir ! Les startups ont démontré leur capacité à s’adapter, à trouver des solutions dans des temps difficiles. En s’adaptant, on crée de la richesse, et dans ce cas, les investisseurs sont là. Le confinement a montré que les solutions panafricaines peuvent fonctionner en Afrique, car tout le monde travaille ensemble.

About Julie Lanckriet

Julie Lanckriet-Goerig est auteur, journaliste Afrique sur les questions économiques et d’innovation et Directrice des Opérations au sein de StartupBRICS, EMERGING Valley et EMERGING Mediterranean. Forte de plus de treize ans d’expérience sur le Continent africain, Julie a travaillé pour diverses institutions telles que le ministère français des Affaires étrangères et l’Union européenne. Elle débute son parcours professionnel à Paris, en charge de l’animation du Laboratoire d’innovation du Ministère de la Défense avant de partir au Nigéria comme Chargée de mission Tech pour l’Ambassade de France à Abuja. Ayant développé un solide réseau au sein de l’écosystème numérique local, elle rejoint StartupBRICS depuis Lagos, pour piloter la ligne éditoriale et mener les missions de terrain. Aujourd'hui basée à Casablanca au Maroc, Julie travaille aux côtés de Samir Abdelkrim, Fondateur de StartupBRICS, sur l’ensemble des projets du groupe avec pour objectif de contribuer à la visibilité de la Tech africaine, accompagner ses entrepreneurs et renforcer leur impact social.