Réseau d’Echange entre Médecins d’Afrique (REMA) lancé en 2017, l’application de collaboration médicale à distance est exclusivement dédiée aux médecins spécialistes, généralistes et internes exerçant sur le continent Africain. Avec la notion de confiance médicale au cœur de sa proposition de valeur. Pour son fondateur Sedric DEGBO, il s’agit dans le contexte actuel de lutte contre le COVID-19 d’un support d’aide essentiel à la décision et à l’amélioration des compétences qui est basé sur l’intelligence collective du réseau. Et aujourd’hui, REMA revendique une communauté médicale croissante vérifiée de plus de 6000 médecins certifiés. En effet, le statut professionnel des utilisateurs est doublement vérifié (identité, diplôme, carte professionnelle,…) avant la validation de leur accès à la plateforme. La protection des données figure quand à elle au rang de priorité pour la startup, qui atteste que l’ensemble des cas cliniques discutés sur REMA sont entièrement « anonymisés » grâce des fonctionnalités d’édition intégrées juridiquement encadrées par des conditions d’utilisation strictes. « Il n’y a donc pas d’informations à caractère sensible sur nos plateformes. C’est ainsi que nous garantissons à notre communauté médicale un environnement digital professionnel, confidentiel et sécurisé » explique ainsi le jeune fondateur. Rencontre dans une interview exclusive pour StartupBRICS.
Pouvez-vous détailler le fonctionnement de l’application ? Comment se font les conversations : existe t’il des communautés à thèmes, géographiques, linguistiques ? Comment vérifiez-vous la véracité des profils (que les utilisateurs sont bien des médecins) et comment assurez-vous la sécurité d’échanges d’informations si sensibles ?
La problématique que nous essayons de résoudre à travers REMA, est celle des erreurs médicales encore appelées événements indésirables liés aux soins. En effet, en Afrique près d’une décision médicale sur deux se révèlent être perfectibles (contre 10% en Europe par exemple), et les erreurs médicales causeraient selon plusieurs études, plus de décès sur notre continent que le paludisme et le SIDA réunis. En fait, au-delà des limites organisationnelles du système sanitaire africain, ces chiffres sont dus notamment : au faible niveau d’information du médecin, à l’isolement des médecins, à la distance et au manque de moyens de communication adapté entre eux. Habituellement en Afrique, lorsqu’un médecin a un doute par rapport à un cas de patient, il contacte directement ses confrères qui sont soit dans le même hôpital que lui, ou soit dans son carnet d’adresse. Et étant moi-même médecin, je peux vous confirmer que malheureusement le cercle professionnel personnel du médecin est souvent très limité, il n’est donc pas rare que ce dernier, ne trouve pas de réponse à sa problématique, ni même dans certains cas l’expertise médicale recherchée. Ce qui est potentiellement préjudiciable pour le patient et source de frustrations pour le médecin lui-même.
Pour pallier cette problématique, REMA se propose d’améliorer la qualité des décisions médicale, en connectant tous les médecins d’Afrique à travers une application mobile qui leur permet de partager, d’échanger leurs expériences autour de cas de patients et de collaborer en temps réel quel que soit la distance afin de prendre de meilleures décisions et ainsi sauver plus de vies. Nos solutions sont disponibles et délivrées en Français et en Anglais. Mais nous avons fait le choix de nous concentrer d’un point de vue opérationnel, d’abord sur les marchés d’Afrique francophone.
Vous avez créé votre application à la fin de l’épisode Ébola de 2013-2016, mais vous êtes actif en RDC, qui connait une nouvelle flambée épidémique au Kivu depuis 2018 : REMA est-il utilisé dans ce cadre, et si oui,
quels sont ses fonctionnalités en contexte épidémique ?
Nous avons effectivement des utilisateurs en RDC qui postent et échangent autour de l’épidémie de l’Ebola, qu’il s’agisse des aspects cliniques de la maladie, des avancées thérapeutiques récentes ou des difficultés spécifiques qu’ils rencontrent au quotidien dans la prise en charge des patients.
Pour parler plus précisément du Covid 19, vous venez d’annoncer la gratuité de votre application pour les Ministères de la Santé du Continent. Qu’est ce qui a motivé cette initiative ? Comment votre application peut-elle venir en aide aux personnels soignant et autorités de Santé dans la lutte à venir contre le virus ?
En fait au-delà de la communauté médicale croissante que nous développons autour de l’application mobile REMA, nous offrons aux entreprises, organisations et institutions sanitaires, une solution de communication médicale (REMA Business) qui leur permet de cibler et de toucher de façon massive les médecins d’Afrique en quelques clics. Et vu, l’état d’urgence dû à l’évolution inquiétante de la pandémie du Covid-19, nous avons en étroite collaboration avec GreenTec Capital Partners, pris depuis ce 16 Mars, l’initiative de mettre gratuitement notre système de communication médicale institutionnelle au profit des ministères de santé, notamment ceux des Etats d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ceci dans le but de leur faciliter la coordination, l’information et la formation en temps réel et sans contact, des professionnels de santé présents sur leur territoire pendant toute la durée de la crise. Parce qu’il est essentiel pour les institutions sanitaires en période d’épidémie, de maîtriser la qualité et le circuit de l’information destinée aux professionnels de santé sur chaque territoire.
Pensez-vous que les enseignements de l’épisode Ébola peuvent éclairer la lutte contre le Corona Virus ? Quels sont les atouts et les faiblesses de l’Afrique subsaharienne face à la montée de l’épidémie ? Peut-on déduire des premières tendances du comportement du virus dans la sous-région ?
Oui bien sûr, ça ne peut qu’aider. A mon avis la principale leçon qu’il faut en tirer c’est l’importance de la mise en place précoce d’actions préventives et de ripostes parce qu’au moment où l’épidémie se déclare il est souvent déjà trop tard pour réagir de manière adéquate et sereine. Les atouts de l’Afrique subsaharienne, c’est la jeunesse de sa population et la mise à contribution de l’importante vague d’innovations communautaires et panafricaines qui ont vu le jour ces dernières années, tous secteurs confondus. Pour ce qui concerne les faiblesses, je parlerai de ce que je maitrise le mieux, c’est-à-dire le système de santé qui d’une manière générale n’est pas assez structuré, ni assez inclusif pour les populations défavorisées. Et à cela vient s’ajouter, le très faible taux de professionnels de santé actifs sur le continent par rapport aux besoins de la population. A titre indicatif, on tourne aujourd’hui autour de 2,7 médecins pour 10.000 habitants en Afrique, ce qui explique le fait que notre continent soit considéré comme un désert médical. Il faut quand même souligner l’effort de croissance qui est fait à l’échelle du continent par rapport à l’effectif, parce que les chiffres étaient deux fois plus bas il y a 10 ans, donc l’avenir est prometteur…
La tech a changé ces dernières années la manière d’exercer la médecine en Afrique : comment voyez-vous évoluer le secteur dans les années à venir ? Quels seront les gains pour les patients et plus globalement pour la santé en Afrique ? Ne risque on pas de tendre vers une privatisation généralisée des services de santé ?
Personnellement, je vois la santé numérique comme une opportunité pour notre continent, où le niveau d’accès aux soins de santé de qualité est encore insuffisant. Que ça soit dans la télémédecine sous toutes ses formes ou dans la démocratisation des services digitaux d’assurance maladie, il s’agira à mon avis, pour les différentes parties prenantes notamment les pouvoirs publics de mettre en place un cadre économique et réglementaire uniforme qui favorise l’éclosion des solutions de santé numérique en Afrique.