#Reportage : Gebeya, la startup qui transforme les ados éthiopiens en génies du code !

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“Nous avons signé plus de contrats en 8 mois qu’en 4 ans !”. Amadou Daffe n’en revient toujours pas. Depuis son installation à Addis-Abeba, le carnet de commande de Gebeya, la startup qu’il a créée en 2016 pour aider les entreprises internationales et africaines à digitaliser leurs services en ligne explose de semaines en semaines. Son nouveau bébé génère du cash et procure de l’emploi à des centaines de jeunes codeurs et de jeunes codeuses venues de toute les provinces d’Ethiopie. Une aventure au long cours qui prend ses racines au début des années 2000. Rencontre avec Amadou DAFFE, CEO de Gebeya. Propos recueillis et édités par Enki Barache et l’équipe StartupBRICS.

Hello ! Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre premier projet, Coders4Africa ?

J’ai fait mes études en génie informatique, j’ai obtenu un bachelor en Computer Science et un Masters en Management Information Systems. Après mes études aux Etats-Unies, j’ai commencé à travailler pour des entreprises technologiques américaines basée en Pennsylvanie. J’ai alors été choqué de voir qu’un nombre infime d’africains travaillaient avec ces entreprises, contrairement aux asiatiques et en particulier les indiens. Je me suis dit, OK. Je vais aller sourcer les talents informatiques du continent africain pour les mettre en relation avec les entreprises américaines. C’est comme ça qu’est né mon premier projet Coders4Africa.

Après ça, vous avez créé Gebeya, comment s’est opéré la transition ?

L’objectif de Coders4Africa était de construire un réseau de développeurs. Après 4 ans à parcourir le Sénégal, le Mali, le Kenya, l’Ethiopie et même la Tunisie, il était clair que l’Afrique avait des développeurs. Nous avonc donc mis en place un modèle de sous-traitance dans lequel nous recevions des contrats des USA et nous les exécutions en Afrique. Nous avons transformé ce réseau en une opportunité professionnelle. Néanmoins, le modèle n’était pas assez performant. Nous recevions des contrats mais parfois nous ne pouvions les exécuter faute d’un nombre suffisant de développeurs. C’est pourquoi j’avais besoin de former plus de personnes. Cependant cela a un coût et lorsque vous faites de la sous-traitance vous recevez de l’argent uniquement par projet. L’aventure Coders4Africa doit alors très rapidement changer de modèle. Je me suis donc dit à ce moment-là qu’il fallait former, former et encore former pour pouvoir créer une entreprise pouvant se développer à grande échelle. Comme un “Uber pour les développeurs africains”. Au fur et à mesure que nous diplômons ces personnes, nous les plaçons sur la plateforme en leur donnant des opportunités de contrats. C’est comme ça qu’est né Gebeya ! J’ai donc mis en place en place un modèle incluant d’un côté un programme de formation payant, extrêmement spécialisé. Nous ne formons pas de codeurs généralistes mais des spécialistes, comme ingénieur API pour la fintech par exemple. A la suite de ce programme de formation, avec votre diplôme en poche, vous êtes en mesure de postuler pour n’importe quel poste, parce que vous êtes un spécialiste. Avec ce type de compétences, vous pouvez vous trouver n’importe où en Afrique, vous recevrez toujours des propositions d’emploi car vous ferez partie des compétences les plus recherchées à travers le monde.

Je me suis donc dit à ce moment-là qu’il fallait former, former et encore former pour pouvoir créer une entreprise pouvant se développer à grande échelle. Comme un “Uber pour les développeurs africains”.

Cependant, nous avons ensuite réalisé que parmi ces diplômés, certains avaient une âme d’entrepreneur, et les développeurs font partie des personnes les plus dures à gérer. Vous savez, quand une personne crée quelque chose à partir de zéro et ce sous une forme abstraite cela fait naturellement d’elle une entrepreneure. Vous ne pouvez pas obliger un développeur à rester figé pour faire la même chose en permanence. Il se trouve que ces personnes ont des idées brillantes, pourquoi ne pas créer un incubateur pour les développer ? Ceux qui désirent travailler pour Gebeya via notre plateforme peuvent continuer et pour ceux qui veulent monter une startup, nous sommes également en mesure de les accompagner. Ainsi Gebeya repose aujourd’hui sur trois piliers : le programme de formation payant, la plateforme de sous-traitance et l’incubateur. Il s’agit d’un écosystème auto-suffisant !

Vous savez, quand une personne crée quelque chose à partir de zéro et ce sous une forme abstraite cela fait naturellement d’elle une entrepreneure.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le programme de formation ? Comment sélectionnez-vous les candidats ?

Gardez en tête que nous formons exclusivement des spécialistes. Vous devez donc avoir déjà un diplôme pour postuler, Bachelor ou Master, ou à défaut au moins 3 ans d’expérience. Nous ne revenons pas sur les fondamentaux de la programmation. C’est le premier critère.
Il y a une section dédiée sur notre site aux candidatures du programme de formation, où vous pouvez choisir quel cursus vous souhaitez suivre. Votre profil est ensuite évalué par un comité. Si votre candidature est retenue, vous passez ensuite un entretien. Enfin, un test électronique est réalisé pour déterminer si vous devez passer par le programme de formation ou si vous pouvez directement intégrer notre équipe de professionnels.

Gebeya est actuellement présent en Ethiopie et au Kenya, pourquoi ces deux pays ?

Cela vient de mon expérience. L’idée au départ était de développer le modèle de Coders4Africa. Lorsque j’ai visité l’Afrique de l’Est en 2013, je suis allé au Kenya. Il y avait beaucoup d’engouement autour du Kenya à cette époque. En arrivant là-bas j’ai constaté que le pays avait un potentiel énorme, que ce soit du côté des développeurs ou du côté des clients, soit les compagnies prêtes à payer pour des services. C’était donc l’endroit idéal en Afrique pour créer sa startup, mais dans le même temps, les kényans sont des entrepreneurs par nature. J’ai beaucoup travaillé avec des kényans, et il s’avère qu’il est impossible de garder un développeur kenyan plus de 2/3 ans. Il me fallait donc choisir un endroit pour notre programme de formation où les gens ont plus à prouver. Je suis également allé en Ethiopie en 2014 et j’ai été interpellé par le nombre impressionnant de jeunes diplômés. Peu de personnes savent que par exemple l’Ethiopie est le deuxième pays africain le plus peuplé avec plus de 100 millions d’habitants. De plus, 70% de la population est jeune. C’est également l’une des économies d’Afrique qui se développent le plus vite. Si vous venez à Addis-Abeba, vous verrez de quoi je parle. Tout est à faire, il y a en fait plus d’opportunités qu’au Kenya, où il y a plus de concurrence. C’est pourquoi on a décidé d’implémenter notre programme de formation en Ethiopie, nous permettant ainsi de former plus de personnes, plus enclins à payer et qui resteront chez Gebeya. Par ailleurs, le Kenya et l’Ethiopie étant voisins, avec de bonnes relations diplomatiques, les kényans sont par exemple les seuls citoyens au monde qui n’ont pas besoin de visa pour venir en Ethiopie, c’était une aubaine pour nous. Nous avons une source illimitée de développeurs venant d’Ethiopie et nous leur fournissons des opportunités d’emplois venant du monde entier.

Vous êtes également présent dans la Silicon Valley, comment se passe l’organisation entre ces 3 pôles (Kenya, Ethiopie et USA) ?

C’est très simple. Notre siège est basée en Ethiopie, car c’est là que notre campus se trouve. Ainsi, tout ce qui concerne la formation, c’est en Ethiopie. L’équipe dirigeante est également majoritairement basée en Ethiopie, même si je fais beaucoup d’aller-retours entre Addis-Abeba et Nairobi, toutes les deux semaines environ. Au Kenya se trouve la direction marketing et business, le côté client. Et les USA, c’est plus une holding, c’est là que se trouve notre CFO, nos avocats etc… Cependant, nous commençons à développer notre activité business là bas. Je reviens tout juste des USA et je peux vous dire qu’ils ont besoin de développeurs également. Nous allons donc y mettre en place une petite équipe de business developer pour prospecter des clients potentiels.

D’où viennent majoritairement vos clients ?

Actuellement, ils viennent d’un peu partout. Une partie importante vient d’Afrique, nous avons également des clients européens, et aux USA aussi. Ce qui nous différencie des autres compagnies qui font plus ou moins la même chose que nous, c’est que nous sommes très attachés au marché africain. Vous savez, d’ici 5 ans, la demande dans le domaine des NTIC va doubler voire tripler en Afrique. Nous ne pouvons pas passer à côté. Nous ne voulons pas concentrer nos efforts sur les marchés occidentaux. Après bien sûr, on ne va pas dire non à ces contrats, mais le réel enjeu, si vous voulez bâtir une entreprise prometteuse, c’est de se tenir prêt pour ce qui va se passer dans les 5 prochaines années en Afrique.

Ce qui nous différencie des autres compagnies qui font plus ou moins la même chose que nous, c’est que nous sommes très attachés au marché africain.

Votre stratégie pour les 5 prochaines années c’est donc de se concentrer sur le marché africain ?

Exactement. Nous souhaitons devenir leader sur le marché du digital en Afrique. Autre point important dans notre stratégie, c’est la progression. Nous devons gagner de l’expérience avec les entreprises étrangères, prouver que nous pouvons gérer des projets internationaux, ce que nous faisons déjà d’ailleurs.

Vous avez mentionné l’incubateur de Gebeya, pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons deux types d’incubation. La première concerne les personnes qui nous rejoignent avec un produit déjà défini. Par exemple, c’est le cas de Kukulu, une application de jeu mobile née en Ethiopie, la personne est venue nous présenter son projet et on a été impressionné. Nous l’avons donc aidé à accélérer son projet et à l’améliorer. Nous lui avons fourni des conseils ainsi que du cash. C’est le premier cas de figure, une personne a un projet, nous l’aidons à le développer.
Le second type d’incubations concerne plus des idées en interne. Lors du programme de formation, vous devez travailler sur un projet. Il peut venir de nous ou de nos clients. Et il se trouve que nous avons de belles idées. Vous savez, lorsque vous construisez un écosystème, cela va forcément générer de belles idées. Ainsi, lorsque ces projets arrivent à terme, il se peut qu’ils deviennent des produits voire des startups, en position de recevoir des investissements de l’extérieur.

Que pensez-vous des marchés éthiopiens et kényans ?

La bonne nouvelle, c’est qu’ils sont en concurrence et cela les tirent vers le haut : café, compagnies aériennes, Ethiopian Airlines est devenue la première compagnie aérienne africaine, détrônant le Kenya, même en course à pied, c’est vraiment stimulant.
C’est particulièrement intéressant pour nous car nous aurons toujours la main d’œuvre suffisante en Ethiopie. De plus, l’Ethiopie est le seul pays africain qui n’a jamais été colonisé. C’est intéressant car leur approche est différente du Kenya, qui lui a été colonisé par les anglais. Cela me donne une certaine flexibilité. Néanmoins, si l’un des deux pays venait à vraiment plus se développer que l’autre dans le futur, nous devrons faire face à un défi de taille car notre startup repose sur la synergie entre les deux pays.

Nous prévoyons d’atteindre 50% de femmes dans le programme l’année prochaine, c’est donc quelque chose de vraiment important pour nous.

Remise des diplômes aux étudiantes de Gebeya

La question des femmes dans les NTIC constitue un enjeu majeur partout dans le monde et également en Afrique, quel est votre politique à ce sujet ?

Nous sommes très attachés à cette problématique. Par exemple, 30% de nos professionnels sont des femmes, et par ailleurs elles suivent les cursus les plus durs. Nous avons mis des actions en place dès le début, en offrant par exemple des bourses à toutes celles qui rejoignent Gebeya. Nous prévoyons d’atteindre 50% de femmes dans le programme l’année prochaine, c’est donc quelque chose de vraiment important pour nous. Ce que les gens ne comprennent pas, sans être sexiste, c’est que les femmes ont de meilleurs aptitudes pour la programmation. Elles sont plus persévérantes et elle codent de manière beaucoup plus claire. D’ailleurs, le premier programme de l’histoire a été réalisé par une femme, Ada Lovelace, les gens ignorent cela. Nous faisons donc tout notre possible pour s’assurer que les femmes soient bien chez nous.

En tant qu’entrepreneur africain, avez-vous un conseil à donner à ceux qui voudraient créer leur startup en Afrique ?

Si votre produit est destiné au marché africain, pas à la diaspora, votre business doit être localisé en Afrique et vous en tant que CEO également. Tous les entrepreneurs africains qui ont réussi ont des business très localisés et habitent sur place, vous ne pouvez pas avoir un pied dedans et un pied dehors. C’est pourquoi j’ai déménagé des USA en Ethiopie l’année dernière. Il faut être à plein temps là où votre business se trouve si vous voulez réussir. Cela requiert un engagement total, une motivation à 200%. Depuis que je vis en Ethiopie, on a eu plus de succès en 8 mois qu’en 4 ans ! Cela a tout changé !

Si votre produit est destiné au marché africain, pas à la diaspora, votre business doit être localisé en Afrique et vous en tant que CEO également.

 

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