L’inégalité devant l’accès aux soins fait partie du quotidien des africains. D’une part du fait de l’accélération du départ des « talents en blouse blanche », à savoir le brain drain médical depuis l’Afrique vers l’Occident. Le taux de migration des médecins africains formés sur le continent en direction des pays de l’OCDE explose depuis 10 ans, avant des ratios d’émigration qui sont passés de 9 % en 1991 à 12 % en 2003. D’autre part de la très faible capacité des pouvoirs publics africains à investir dans leurs système de santé nationaux et locaux (les pays africains ne consacrent que 2% à 5% de leur PIB aux politiques publiques de santé selon l’IFRI) et les difficultés d’allocation des ressources renforcent l’inégalité dans l’accès aux soins des africains, notamment des plus fragiles. De nombreuses startups africaines prônent l‘utilisation d’outils de e-santé positionnés au croisement des TIC (explosion du mobile et des taux de pénétration et progression des utilisateurs d’internet via Smartphone) et du soin pour faire reculer ces inégalités. A l’image de la startup congolaise WapiMED, qui permet aux usagers de géolocaliser et d’entrer en contact rapidement avec les professionnels de santé aux alentours, notamment dans les zones reculées. Rencontre avec les fondateurs du projet, José Zefu Kimpalou et Steve Nkashama depuis Kinshasa pour StartupBRICS.
WapiMED est un annuaire géolocalisé des professionnels de la santé en Afrique. A long terme, envisagez-vous le développement d’autres services basés sur cet annuaire ?
Oui, c’est clairement l’objectif sur le long terme. Dès les premières heures du développement et du lancement de WapiMED en mars 2016, nous avions indiqué notre volonté de faire de WapiMED, un point d’ancrage pour le développement d’autres services destinés aux patients et aux professionnels de la santé. Nous avons une liste de 4-5 services qui nous semblent pertinents et tout à fait réalisables, dans le contexte de l’Afrique.
C’est dans cette perspective que nous préparons actuellement le développement de notre prochain service, une solution de type Cash-To-Health qui permettra aux membres de la diaspora africaine de pré-payer des soins de santé pour leurs familles et/ou amis qui sont dans leurs pays d’origine. Nous croyons fermement que ce genre de service, tout comme l’annuaire géolocalisé peuvent faciliter et améliorer l’accès aux soins de santé de qualité pour une proportion non négligeables des populations locales.
Votre application fonctionne t-elle hors ligne ? Si non, est-ce selon toi un frein à son développement en Afrique ?
À ce jour, notre application web ne fonctionne pas hors ligne… Le choix de l’application web responsive s’expliquait par la flexibilité qu’elle offre de pouvoir être utilisée sur différentes plateformes (ordinateurs, portables, smartphones et tablettes) et dans une approche lean visant à connaitre les habitudes des utilisateurs potentiels et de s’adapter au besoin.
Comme beaucoup, nous parions sur la croissance de l’internet mobile en terme de pénétration et la croissance du nombre de détenteurs de smartphones. Et c’est dans cette perspective que nous devrions assez rapidement offrir des applications mobiles téléchargeables sur l’ App Store et Google Play. À noter qu’il sera alors possible de consulter en étant « hors ligne » toutes les recherches déjà effectuées préalablement.
Nous étudions également deux autres pistes avec notre équipe de développement:
a. La conversion de notre web app, en progressive web app càd une version améliorée très proche d’une application native qui offre en plus l’avantage d’être utiliseable dans une certaine mesure en étant hors ligne. On en parle de plus en plus depuis quelques mois,
b. La possibilité d’intégrer des fonctionnalités SMS en partenariat avec des opérateurs télécoms.
Comment envisagez-vous l’avenir de la e-santé en Afrique ? Le développement de la e-santé peut-il selon vous permettre de pallier au manque d’infrastructures médicales en Afrique ?
L’e-Santé va prendre une place de plus en plus importante en Afrique … un peu à la manière du Mobile Banking qui a facilité pour tant de personnes l’accès à un système financier de base.
Nous sommes convaincus que l’é-Santé peut offrir des solutions alternatives afin de pallier, effectivement, au manque d’infrastructures et de soignants proportionnellement au nombre d’africains.
En 2010, l’OMS avait déjà identifié le développement de l’internet mobile comme une opportunité de voir ce que l’on appelle parfois le désert médical africain se réduire grâce à l’e-Santé dont la télé-médecine est l’exemple le plus parlant.
Nous nous projetons dans cette évolution et espérons apporter notre pierre à l’édifice en venant avec des solutions adaptées au contexte africain et surtout d’utilité.
De plus en plus de grands comptes mettent en place des lignes business pleinement consacrée à la e-santé. Comment envisagez-vous une éventuelle collaboration avec ce type d’entreprises ?
Oui, c’est par exemple le cas du groupe Orange qui vient de lancer ce type de services en Afrique. En développant une ligne de business e-Santé, il est certain que les grandes entreprises Télécoms se positionnent comme des partenaires qui pourraient offrir des solutions pertinentes et innovantes à une grand nombre d’utilisateurs africains et donc participer à l’effort d’amélioration d’accès aux soins de santé de qualité.
Nous serions bien évidemment contents de pouvoir envisager un collaboration avec Orange (mais pas uniquement) car cela constituerait un levier important pour nous en terme d’accompagnement, développement et déploiement des services que nous envisageons pour l’avenir. La porte est ouverte 🙂
Quels sont selon toi les principaux freins au développement des startups en Afrique ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières lors du développement de WapiMED ?
À notre niveau, nous voyons principalement deux freins:
- L’accès au financement qui est un élément critique pour le développement de toute startup et encore plus en Afrique. Je lisais un article dans lequel un Business Angel belge, Cedric Donck, disait que les 100 000 premiers euros étaient les plus durs à obtenir … et une forme d’écrémage latente … En Afrique, je dirai même qu’il s’agit des 5 à 10 000 premiers euros.
- Le faible nombre d’initiatives des autorités publiques. Les choses commence à bouger timidement dans certains pays où les gouvernants mettent en place des politiques « numériques », comme au Bénin, mais il y’a encore beaucoup à faire. Nous constatons une grande différence entre le pays anglophones et francophones d’Afrique, les premiers ayant une longueur d’avance sur plusieurs années.
Nous n’avons pas vraiment eu de difficultés particulières lors du développement de WapiMED. Lors du lancement de l’application, nous avons effectué un road show dans la région de Kinshasa afin de rencontrer médecins, directeurs hospitaliers, et autres professionnels ce fut très instructifs d’un point de vue humain et dans la compréhension de l’impact des solutions e-Santé et nous espérons emmener le projet le plus loin possible.