Le 1er octobre avait lieu BIG, la conférence évènement de la Banque Public d’Investissement à l’AccorHotels Arena. C’est dans ce cadre que plusieurs experts de la finance africaine sont revenus sur les conséquences économiques du Covid sur le Continent.

Les économies africaines face au Covid-19 : touchées mais pas coulées

Le 1er octobre dernier avait lieu BIG, la conférence évènement de la Banque Publique d’Investissement à l’AccorHotels Arena. Cette année encore, des centaines d’intervenants s’y sont succédés pour inspirer les entrepreneurs du monde entier. C’est dans ce cadre que plusieurs experts de la finance africaine sont revenus sur les conséquences économiques du Covid sur le Continent. Tous s’accordent sur un constat : si l’Afrique a été violemment touchée par la crise économique, le continent s’en sort bien mieux qu’annoncé, grâce à une réaction rapide et mesurée des autorités locales et de la communauté internationale.

StartupBRICS revient sur cette conférence à laquelle étaient conviés Benoît Gauthier (Direction générale du Trésor, Chef du Service Economique Régional pour l’Afrique de l’Est), Magloire N’Guessan (Société Générale, Directeur général de la Société Générale au Tchad) et François Sporrer (Direction Générale du Trésor,Chef du Service Economique Régional pour l’Afrique de l’Ouest). Mourah Chouiqa de Bpi France animait la discussion.  

Afrique de l’Ouest.

Avant tout, ce sont les chiffres qui parlent d’eux même : avec 17 000 personnes contaminées et 2 600 décès, la région a été beaucoup moins touchée que d’autres parties du monde. Ce bilan sanitaire, dont la fiabilité n’est cependant pas garantie, n’a donc pas été une cause directe de la crise économique sur le territoire et en a finalement limité les répercussions selon François Sporrer, Chef du service économique régional pour l’Afrique de l’Ouest basé à Abidjan. Les raisons qui expliquent l’impact économique de la crise en l’Afrique sont donc à chercher dans les liens étroits qu’elle entretient avec l’économie mondiale. 

C’est en effet, selon son analyse, la baisse de la demande mondiale qui est à incriminer. Celle-ci a aussi bien fait chuter les exportations de matières premières que les services « made in Africa », au premier rang desquels le tourisme et les transports. Un ralentissement qui a également retardé des projets d’hydrocarbures de grande ampleur qui devaient être menés au Niger, en Mauritanie ou au Sénégal. Il a aussi perturbé les chaînes mondiales d’approvisionnement et réduit les Investissement Direct à l’Etranger (IDE). Autre trait majeur et propre à l’Afrique, la baisse des transferts de revenus depuis la diaspora, qui a eu des conséquences directes sur les économies locales. Ils ont en effet baissé de 23% en 2020, tandis qu’ils représentent jusqu’à  10% du PIB dans des pays comme le Sénégal selon F. Sporrer.

Malgré ces réactions en chaines et la baisse des activités et de la consommation, la zone maintient sa croissance positive ! Les observateurs du Ministère français des Finances et de la Relance distinguent déjà une sortie de crise nette. Ainsi, selon les estimations du Service économique régional d’Abidjan, le PIB de la région devrait atteindre dès 2021 les taux de 2019 !

Les demandes de crédit, et la consommation de carburant sont reparties à la hausse. Il en est de même pour les activités liées au commerce international: le trafic portuaire de Abidjan devrait retrouver le taux de croissance prévu pour 2020 avant la crise.

Mais ces résultats n’auraient pu intervenir sans une action forte et coordonnée des acteurs nationaux et de la communauté internationale. Le Chef de service de la DG Trésor détaille ainsi les différents plans survenus dans la région : le FMI tout d’abord, qui a débloqué 4,7 Mds de dollars d’aides d’urgences pour l’Afrique de l’Ouest et garanti à 10 pays de la région un allègement immédiat de leur dettes ! La Banque Mondiale ensuite, avec 300 M de dollars puis l’Union Européenne qui a dédié 3,8 Mds d’euros à l’Afrique dans le cadre de l’initiative « Team Europe » contre le coronavirus. S’y sont ajoutés la suspension temporaire des paiements du service de la dette pour 11 pays de la région. Enfin, l’AFD avec 1,2 Md d’euros dans le cadre de l’initiative « Covid-19, santé en commun ».

FREDRIK LERNERYD/AFP

Sur la plan régional, la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) a mis en place des « Bonds Covid-19 » et la BOAS (Banque Ouest Africaine De Développement) a octroyé 15 Mds de FCFA à chacun des Etats membres, et a suspendu le service de la dette.

Sur le plan national enfin, tous les pays ont annoncé des plans de ripostes sanitaires pour faire face à l’urgence, ainsi que des plans de soutien à l’économie pour atténuer l’impact socio-économique de la crise sur les ménages. Cela est passé par des subventions, des garanties de prêts, des aides etc… En Côte d’Ivoire par exemple, le plan de soutien économique, social et humanitaire s’élève à 1700 Mds de FCFA dont 150 sont destinés aux PME. Cela représente 5% de son PIB.

Récapitulatif des chiffres cités par le Service économique régional d’Abidjan

Afrique de l’Est.

Côté Est, même constat et Benoît Gauthier, Chef du service économique régional pour l’Afrique de l’Est de la Direction Générale du Trésor insiste à son tour sur l’aspect « importé » de la crise économique. À ses yeux, ce sont les transferts de devise qui ont joué le rôle de vecteur dans les principales économies de la région que sont l’Ethiopie, le Kenya et la Tanzanie, avec la raréfaction de l’accès aux devises. B. Gauthier précise ainsi que ces pays ont extrêmement souffert de l’arrêt du tourisme, qui est la première ressource en devises du Kenya et de la Tanzanie, tout comme de la baisse drastique de leurs exportations de thé, de légumes ou de fleurs coupées.

Et encore une fois, tout comme en Afrique de l’Ouest, ce sont via les initiatives des bailleurs internationaux et des acteurs locaux –et notamment la suspension des services de la dette par le G20- que l’Économie s’est maintenue. Il n’en demeure pas moins que la crise économique a durement touché la région. Selon le ministre du Travail kényan, le nombre d’emplois formels perdus à l’occasion de la crise s’élève ainsi à 2 millions, soit le quart des emplois dans un pays où le travail formel ne représente que 20 % de l’économie réelle.

Dans les principales économies de la région que sont l’Ethiopie, le Kenya et la Tanzanie, la principale raison de l’affaiblissement de l’économie a été la raréfaction de l’accès aux devises. Ces pays ont extrêmement souffert de l’arrêt du tourisme, qui est la première ressource en devises du Kenya et de la Tanzanie, et de la baisse drastique de leurs exportations comme le thé, les légume ou les fleurs coupées, spécialités de l’Afrique de l’Est.

Malgré cette série de coups durs, les perspectives de reprise sont néanmoins très encourageantes, et le FMI prévoit un retour à la hausse de la croissance kényane dès 2020 ! La relance des flux d’exportation est le moteur de cette croissance. Le point négatif restant le tourisme, qui est aujourd’hui à l’arrêt dans la région tandis qu’il y représente plus de 25% des entrées de devise.

La CEMAC.

Pour finir le tour de table, Magloire N’Guessan, Directeur général de la Société Générale au Tchad est revenu sur les conséquences économiques dans la zone CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). L’impact de la crise sur l’économie réelle y a été particulièrement violent puisque la zone est entrée en récession, notamment en raison de la dépendance de ces pays à la manne pétrolière, à l’exemple du Nigéria où les exportations de pétrole représentent jusqu’à 70% des recettes publiques ! Selon M. N’Guessan, la chute du prix du baril associée à la crise sanitaire a de fait, menacé des millions d’emplois dans la région. Le marché des matières premières en général, a d’ailleurs souffert de la crise ; les métaux précieux, le coton, le café ou encore le cacao ont vu leurs activités ralentir, tout comme le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, le BTP et le transport aérien.

Un contexte qui ne sera selon l’expert pas sans conséquences sur le comportement des banques, qui risquent de prêter encore moins facilement aux entrepreneurs et aux ménages. Ainsi selon une étude de la BEAC (la banque centrale des pays d’Afrique centrale), 80% des acteurs du marché bancaire d’Afrique centrale vont resserrer leurs conditions d’octroi au crédit des secteurs fragiles et sensibles.

En ce qui concerne les politiques d’octroi, les banques en générale ont fait preuve de flexibilité en reportant des échéances de remboursement de crédits différés jusqu’à six mois, ou en reportant les pénalités de paiements. Mais le dispositif de gestion des risques va inévitablement changer dans le but d’anticiper au mieux les prochaines crises.

Pour conclure son intervention, Magloire Nguessan est revenu sur la situation au Tchad. Si l’impact de la crise sanitaire a été très limité (1 000 cas de Covid-19 y ont été recensés), celui de la crise économique a été beaucoup plus violent. Avec la baisse des chiffres d’affaires et l’augmentation des chiffres du chômage, le Tchad est entré en récession. Les arrêts partiels ou totaux des activités de certaines entreprises ont entrainé une incapacité de remboursement et une baisse des demandes de financement.

Ainsi malgré les signes prometteurs d’une reprise rapide, l’impact de la crise économique du Covid en Afrique n’est pas à minimiser. Des secteurs d’activités ont été particulièrement affectés comme le tourisme ou le marché des matières premières, et les répercussions de ces baisses d’activités ont été négatives pour tous les pays de la région. Grâce à l’intervention de la communauté régionale et internationale, le pire a été évité mais l’Afrique gardera encore longtemps les marques de la crise, notamment au niveau des possibilités d’accéder au crédit pour les entrepreneurs.

About Julie Lanckriet

Julie Lanckriet-Goerig est auteur, journaliste Afrique sur les questions économiques et d’innovation et Directrice des Opérations au sein de StartupBRICS, EMERGING Valley et EMERGING Mediterranean. Forte de plus de treize ans d’expérience sur le Continent africain, Julie a travaillé pour diverses institutions telles que le ministère français des Affaires étrangères et l’Union européenne. Elle débute son parcours professionnel à Paris, en charge de l’animation du Laboratoire d’innovation du Ministère de la Défense avant de partir au Nigéria comme Chargée de mission Tech pour l’Ambassade de France à Abuja. Ayant développé un solide réseau au sein de l’écosystème numérique local, elle rejoint StartupBRICS depuis Lagos, pour piloter la ligne éditoriale et mener les missions de terrain. Aujourd'hui basée à Casablanca au Maroc, Julie travaille aux côtés de Samir Abdelkrim, Fondateur de StartupBRICS, sur l’ensemble des projets du groupe avec pour objectif de contribuer à la visibilité de la Tech africaine, accompagner ses entrepreneurs et renforcer leur impact social.