– Reportage de terrain réalisé à Morogoro, Tanzanie, en Avril 2019, dans le cadre de l’Observatoire de la E-Santé dans les Pays du Sud de la Fondation Pierre Fabre. Par Julie Lanckriet –
ODESS : une initiative de la Fondation Pierre Fabre Depuis 2015, StartupBRICS accompagne la Fondation Pierre Fabre sur le terrain et au cœur des enjeux e-santé dans les pays émergents. Fondation reconnue d’utilité publique active dans plus de 18 pays à travers l’Afrique et l’Asie, la Fondation Pierre Fabre a fondé l’Observatoire de la e-santé dans les pays du Sud (ODESS) : une base de données unique en son genre qui source, documente et valorise les meilleures initiatives e-santé dont l’impact sur le terrain est le plus important auprès des populations les plus fragiles. L’ODESS, c’est près de 30 projets financés depuis sa création et déjà plus de 150 initiatives valorisées dans plus de 70 pays en Afrique et en Asie ! Acteur engagé pour la e-santé, l’Observatoire rassemble et fédère les professionnels de santé (praticiens, chercheurs, innovateurs) agissant dans les pays du Sud au cours de sa conférence annuelle de Lavaur. Grâce à son expertise et sa connaissance des écosystèmes d’innovation émergents, StartupBRICS accompagne chaque année l’ODESS à la rencontre des projets identifiés sur le terrain, qui en cette période peuvent accélérer la digitalisation de la santé sur le continent africain. Plus d’informations sur www.odess.io |
En avril 2019, StartupBrics partait à la rencontre du programme AfyaData à Morogoro, ville rurale et centre de pilotage national des problématiques “One Health” de l’OMS, à 5h de la capitale tanzanienne Dar es Salam. L’équipe de Afyadata, composée de 6 personnes, accueillait notre envoyée spéciale dans ses bureaux à l’Hôpital régional de référence de Morogoro. |
Carte d’identité du projet Afyadata
Afyadata, “données de santé” en Kiswahili, est né lors d’un hackathon sur les épidémies en 2014 aux débuts de la crise Ebola. L’application, développée en Android en Open source, est en usage gratuit et financée intégralement par l’organisation Ending Pandemics. Sous la tutelle administrative et financière de la SACIDS (Centre sud-africain de surveillance des maladies infectieuses) et de la SUA (Université d’Agriculture Sokoine), le programme Afyadata rend compte de ses avancements au Ministère de la Santé qui détient par ailleurs la propriété de ses données.
Sa mission ? Identifier les maladies infectieuses à un stade précoce grâce à une application de collecte, d’analyse et d’interprétation de données médicales facilitant le diagnostic et la prise en charge des patients. La startup se sert ainsi du numérique, et de cette remontée d’information instantanée, pour assurer le suivi quotidien des maladies infectieuses et zoonoses, mais aussi afin de repérer les flambées épidémiques dès leurs prémices.
Concrètement, comment l’application fonctionne t-elle sur le terrain ?
Page d’accueil de l’application Afyadata
Une collecte granulaire des données
Des rapporteurs de santé communautaires (appelés RSC) formés par Afyadata sont répartis par commune, sachant que l’application est aujourd’hui présente dans six régions de Tanzanie, notamment dans les districts d’Ulanga, de Malinyi, de Ngara, de Ngorongoro et à Zanzibar. Nous avons interrogé Zubeda et Jacob, deux RSC de la commune de Dumila qui visitent l’ensemble des foyers de leur secteur deux fois par semaine et les interrogent sur leur état de santé général. En cas de symptômes, ils remplissent un formulaire sur l’application, auquel s’ajoutent les coordonnées GPS et éventuellement des photos à l’appui. Les malades sont signalés en moins de 30 minutes et reçoivent une fiche de liaison les enjoignant à se rendre au dispensaire le plus proche.
Zubeda et Jacob témoignent :« Parfois, on voit des personnes vraiment très malades et en souffrance. Quand on renseigne le formulaire et qu’on voit quelques jours plus tard que le malade a été soigné, c’est très satisfaisant, c’est pour ça qu’on continue ».
Jacob et Zubeda, Responsables de Santé communautaires, sur l’application Afyadata
Un support au diagnostic via l’intelligence artificielle
L’application, équipée d’un module d’intelligence artificielle, dresse une liste de maladies potentielles et éventuellement des conseils de premiers soins de secours à prodiguer.
« Lorsque nous avons travaillé au développement de l’application, une équipe de recherche médicale composée de doctorants a répertorié et étudié la littérature existante, ainsi que les directives du ministère de la Santé. Ils ont documenté chacune des maladies infectieuses fréquemment rencontrée en Tanzanie rurale et ses différents symptômes ”, nous explique le Professeur Karimuribo
Les responsables des facilités de santé les plus proches ont ensuite accès aux données de l’application et les transmettent au médecin référent. Véritable support au diagnostic , l’application accompagne alors le médecin dans la détection des maladies lors de l’auscultation du patient. Ce dernier est envoyé en dernier recours à l’hôpital de Morogoro, en cas de suspicion d’une maladie infectieuse impossible à dépister dans les dispensaires, telle que la zoonose par exemple.
Ces données sont accessibles aux autorités de santé qui sont alors à même d’obtenir une vision globale ou granulaire des statistiques cumulées depuis 2016, par région, par localité ou par maladie.
L’équipe AfyaData, le Médecin et les Rapporteurs de santé communautaire devant le dispensaire de proximité de Dumila
AfyaData, une startup qui fait ses preuves
Une remontée d’informations fiable et instantanée
Premier impact remarquable de cette application, sa capacité à collecter les données et à faire remonter l’information. En effet, véritable outil de télémédecine, l’application simplifie les interactions entre tous les maillons de la chaîne de santé. Elle dispose même d’une fonctionnalité de discussion “Chat” entre les RSC et responsables de santé.
“AfyaData permet de faire remonter la donnée de manière fiable et extrêmement rapide du terrain vers les centres de décision” déclare le Professeur Raphael Chibunda, Vice-Président de l’Université SUA.
Une rapidité de transmission des données, fiables de surcroît, qui facilite ainsi la programmation de politiques publiques de santé adéquates et efficaces, selon les partenaires du projet.
Une meilleure prise en charge des patients
Second atout phare d’Afyadata, l’amélioration de la prise en charge des malades au niveau local. L’application permet, dans un premier temps, de renforcer la création d’une communauté informée de soignants autour des maladies infectieuses, notamment grâce aux groupes d’échange Whatsapp par localités, ouverts à tous les utilisateurs de l’application. Elle facilite, dans un second temps, le signalement des patients et leur inscription dans un système de santé conventionnel en les encourageant à se rendre aux dispensaires et à recevoir des traitements appropriés.
Examen d’un patient par le Docteur au Centre de santé de Dumila
Une détection précoce des épidémies
Enfin, dernière mais non moins essentiel atout de ce programme, son efficacité reconnue par la communauté médicale internationale à détecter prématurément les épidémies. En effet, Afyadata compte déjà plusieurs success stories et a permis d’enrayer plusieurs débuts d’épidémie :
“Avec l’aide des équipes d’AfyaData, nous avons réussi à identifier un épisode mixte de peste des petits ruminants (PPR) et de CCPP (Pleuropneumonie contagieuse caprine). Ailleurs dans nos districts, nous avons permis de contenir l’éruption d’un symptôme similaire à l’impétigo qui atteignait les écoliers.” nous énumère en partie le Professeur Karimuribo
Réinventer et perfectionner le parcours de santé
L’utilisation du programme Afyadata a permis non seulement de mettre en lumière les défaillances du parcours de santé actuel – du premier entretien avec le RSC à l’hôpital de Morogoro – et principalement l’investissement qu’il requiert en terme de temps et d’argent; mais aussi de révéler la difficulté des établissements de santé à dépister les maladies infectieuses. Pour y remédier,
Afyadata entend ainsi travailler plus étroitement avec l’échelon local et renforcer la formation du personnel médical et leur capacité à prendre en charge les patients.
En définitive, un avenir prometteur pour cette jeune startup qui a déjà convaincu de nombreux acteurs régionaux et internationaux et qui entend étendre son application à d’autres maladies infectieuses et zones géographiques. Le projet a d’ailleurs déjà été approché par de nombreux acteurs institutionnels internationaux tels que la République démocratique du Congo, la FAO, le CDC ou encore par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est.
Retrouvez les initiatives de l’ODESS sur https://www.odess.io/voir-les-initiatives.html