#Agritech : A la découverte de « Tolbi », la startup qui modernise l’agriculture sénégalaise

Au Sénégal, l’agriculture reste la principale activité économique en zone rurale et représente encore environ 15% du PIB. Face à la croissance démographique et à l’urbanisation grandissante, l’augmentation de la production agricole nationale est devenue une condition nécessaire pour assurer la sécurité alimentaire du pays. Diminuer les importations et arriver à l’autosuffisance alimentaire est devenue un enjeu majeur pour le gouvernement sénégalais. Pour cela, les pouvoirs publics font appel aux innovateurs du domaine agricole. Parmi eux, Mouhamadou Lamine Kébé développe avec 3 autres étudiants sénégalais le projet « Tolbi », une technologie destinée à faciliter l’irrigation des champs et à améliorer les rendements agricoles. En récompense de ces efforts en faveur des agriculteurs sénégalais, le Grand Prix du Président de la République pour l’Innovation Numérique lui a été accordé en 2020.
Samir Abdelkrim, fondateur de StartupBRICS et auteur de “Startup Lions”, est allé à la rencontre de Mouhamadou Lamine Kébé, cofondateur et CEO de la startup Tolbi. Une interview menée à l’Ecole Supérieure Polytechnique de Dakar, là où étudie le jeune ingénieur sénégalais.

Par Samir Abdelkrim, avec l’appui de Lucas Daniel

Samir Abdelkrim: Bonjour Mouhamadou, peux-tu te présenter en quelques mots à nos lecteurs ?

Mouhamadou Lamine Kébé : Je m’appelle Mouhamadou Lamine Kébé. J’ai 24 ans et je suis étudiant à l’Ecole supérieure de polytechnique (ESP) de Dakar en en systèmes réseaux télécom. J’ai cofondé en parallèle de mes études Docteur CAR, un robot crée dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 pour assister les soignants, et la startup Tolbi dont je suis également le CEO.

Mouhamadou Lamine Kébé s’est également illustré dans la lutte contre le virus du Covid-19 en créant avec deux autres élèves-ingénieurs de l’ESP « Docteur CAR », un robot multifonction qui permet aux soignants de traiter les malades sans courir le risque d’être contaminés. L’appareil, doté de caméras et commandé à distance via une application, se déplace jusqu’aux chambres des patients mis en quarantaine pour leur livrer des médicaments et de l’alimentation ou prendre leur température. Il peut également interagir avec les patients grâce à une commande vocale en wolof, pulaar, français et anglais.

SA : Qu’est-ce que signifie Tolbi et quel est le problème que vous essayez de résoudre avec cette startup ?

MLK: Tolbi signifie « champ » en wolof, l’une des langues nationales du Sénégal. Nous essayons de résoudre les problèmes que connaissent les agriculteurs sénégalais en termes de gestion de l’eau : ils perdent de 50 à 80% d’eau d’irrigation car ils ne maitrisent pas les besoins hydriques réels de leurs champs. Et cette problématique est aggravée par le réchauffement climatique qui augmente les besoins en eau. Cette mauvaise gestion a des répercussions sur les couts de production et sur les rendements des terres agricoles.

Nous utilisons des drones, des images satellitaires et des objets connectés avec des capteurs d’humidité pour permettre à l’utilisateur de disposer en temps réel des informations relatives aux besoins en eau et en engrais de leurs champs afin d’optimiser leur irrigation et d’améliorer leur rendement. Cela permet de réduire en amont les apports en eau et carburant, diminuant ainsi les coûts de production Nous avons adapté la technologie aux petits producteurs pour qu’ils puissent la faire fonctionner avec un simple téléphone portable.

SA : Qu’est-ce qui vous a fait comprendre de l’importance de la problématique au Sénégal ?

MLK : Une partie de notre équipe a fait des études en ingénierie agronomique au sein de l’École Supérieure d’Agronomie du Sénégal. Ils ont pu se rendre compte au cours de leurs études des pertes en eau, de la mauvaise utilisation des engrais et des couts supplémentaires que cela provoque pour des rendements médiocres lors des récoltes.

SA : Pouvez-vous revenir en détail sur le fonctionnement de votre solution nommée « Tolbi Connectée » ?

MLK : Bien sûr ! Il s’agit d’un kit d’objets connectés basé sur de l’intelligence artificielle et sur l’edge computing qui calcule en temps réel les besoins en eau de votre champ, automatise votre irrigation et vous permet facilement de le gérer à distance. Le dispositif permet ainsi de pallier aux engorgements racinaires causés par le surplus d’eau et aux stress hydriques.

Le système est particulièrement adapté aux agriculteurs modestes, souvent analphabètes, car il est accessible via un simple téléphone équipé d’une carte SIM. Il suffit à l’agriculteur de composer le numéro du dispositif et d’interagir avec un système de commande vocal en wolof pour connaitre en temps réel les besoins en eau de sa parcelle et d’automatiser l’irrigation à distance.

SA : Votre technologie a désormais plus d’un an, avez-vous des feedbacks encourageants de la part des agriculteurs ?

MLK : En un an, notre projet a dépassé le stade du prototype pour arriver au stade d’utilisation. Nous réussissons à optimiser jusqu’à 30% le rendement agricole tout en réduisant les pertes en eau jusqu’à 60%. Nous réfléchissons ensemble avec les utilisateurs du produit aux fonctionnalités à enlever ou à rajouter. Notre technologie permet de faire aisément du profilage et de la data, ce qui facilite encore plus l’analyse de nos résultats et permet de nous améliorer constamment.

SA : Vous êtes également les heureux gagnants de l’édition 2020 du Grand Prix du Président de la République pour l’Innovation Numérique. Qu’est ce qui a fait la différence au moment du choix ?

édition 2020 du Grand Prix du Président de la République pour l’Innovation Numérique

MLK : C’est principalement le fort impact social qu’a Tolbi en touchant l’agriculture, le premier secteur économique du Sénégal. Nous avons également été récompensés pour notre participation au consortium Teranga Space qui vise à rendre disponible dès décembre 2021 un réseau satellitaire de basse consommation pour l’envoi et la réception des données en Afrique. Ce réseau facilitera la récupération des données d’humidité sur tout le territoire sénégalais.

SA : Cette visibilité vous a apportée des investisseurs ?

MLK : Nous étions déjà bénéficiaires de l’aide de la Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide (DER) mais ce prix nous a apporté la confiance d’autres corporates. Le prix a confirmé un premier financement de 10000 dollars accordé par la compagnie pétrolière Kosmos Energy à travers son programme Sénégal Start-up Accelerator. Désormais nous souhaiterons effectuer une levée de 500 000 dollars pour la fin de l’année 2021 ou le début de l’année 2022.

SA : Par qui êtes-vous accompagnés pour atteindre ces objectifs ?

MLK : Nous sommes accompagnés et coachés par la DER dans le cadre du programme Senegal Start-Up Accelerator. Nous sommes également largement soutenues par notre école, l’ESP, qui héberge les 4 fondateurs et les 13 employés de Tolbi dans son incubateur : La Forge.

SA : Où vous voyez-vous dans 5 ans ?

MLK : Nous voulons devenir un des leaders de la Smart Agriculture en Afrique. Nous voudrions exporter nos compétences dans d’autres pays africains, en particulier le Nigeria, le Kenya, l’Algérie ou le Maroc. Le Grand Prix du Président de la République pour l’Innovation Numérique devrait faciliter notre internationalisation au sein de la sous-région de l’Ouest africain et nous avons déjà prévu de nous étendre dans 3 pays cette année.

About Samir Abdelkrim

Entrepreneur et consultant, Samir Abdelkrim est l’expert francophone de l’innovation africaine. Samir Abdelkrim est le Fondateur d'EMERGING Valley, le sommet international sur l'innovation africaine et les technologies émergentes qu'il a créé à Marseille et à thecamp après une longue exploration des écosystèmes startups africains durant 3 années. Entre 2014 et 2018, Samir Abdelkrim a sillonné l’Afrique de l'innovation et analysé les écosystèmes numériques de 25 pays africains. Une expérience terrain dont il a tiré un livre, Startup Lions, préfacé par Xavier Niel et Tidjane Deme. Samir Abdelkrim est également chroniqueur sur la tech africaine dans les grands titres nationaux comme Les Echos ou Le Monde où il est spécialisé sur les startups africaines. Il est également le fondateur de StartupBRICS.