Par Philippine Leclerc
Au Nigéria, les manifestants réunis derrière le hashtag #EndSARS pouvaient compter parmi leurs soutiens les icones de la Tech locale. Paystack, Flutterwave, le Co-Creation Hub, LifeBank et bien d’autres figures de proue parmi les startuppers n’ont pas hésité à s’engager dans le mouvement populaire qui a occupé les rues des grandes villes nigérianes ces dernières semaines. Ce qui avait commencé comme une tendance sur Twitter s’est rapidement transformé en phénomène mondial, réunissant population locale et diaspora autour d’une revendication simple : dissoudre l’unité spéciale des SARS (Special Anti-Robbery Squad). Une division de la police accusée de terroriser les civils et de se livrer à des pratiques criminelles. Des sévices qui n’ont pas épargné les génies de la tech, et inspiré une réponse digitale emplie d’agilité : les startups n’ont ainsi pas hésité à mettre à profit leur réseau et leurs compétences pour lever des fonds à destination des manifestants, rendre accessible une plateforme de santé en aide aux victimes, organiser le transport des protestataires ou leur mettre à disposition des chambres d’hôtel. Retour sur cet élan de solidarité avec StartupBRICS. |
« Mobilisons les PDG, les jeunes gens et les adultes raisonnable sur ce sujet. Ici comme ailleurs, unissons-nous pour mettre fin à cette oppressions. […] ASSEZ ! »
Ce message, c’est celui de Bosun Tijani, l’homme à la tête du plus grand TechHub du Nigéria, le CcHub, et connu pour son engagement dans l’écosystème local ainsi que pour son rôle d’ambassadeur lors de conférences internationales. En Septembre 2019 il publiait ce tweet après le kidnapping d’un jeune développeur par l’unité de police SARS. Un évènement devenu tristement ordinaire pour la communauté. Cette fois-ci c’était au tour de Toni Astro d’être arrêté, menacé par une arme, tabassé et extorqué. Son crime ? Être un jeune homme détenant un téléphone et un ordinateur portable. Dans le cas précis de M. Astro, ses bourreaux lui ont demandé 1 million de Naira afin d’être relâché, avant de se contenter d’un montant plus modeste : vider son compte en banque de la moitié de son cash a ainsi été l’unique manière pour le jeune homme de retrouver sa liberté.
Des histoires comme celles-ci, il y en existe des dizaines dans la communauté tech. Le co-fondateur d’Andela et Flutterwave, Iyin « E » Aboyeji, le co-fondateur et PDG de Helium Health, Adegoke Olubisi, ou encore le co-fondateur de Microtraction et PDG de Bundle, Yele Bademosi, ont tous des récits similaires à raconter. Des expériences devenues tellement ordinaires qu’elles ont poussé les développeurs à imaginer des fonctionnalités dédiées à leurs applications mobiles, destinées à protéger leurs usagers. L’application Kuda par exemple, qui est une banque numérique, a ainsi créé l’option « Panic Balance », littéralement « Solde de panique » qui permet de renseigner un faux solde de compte en banque (de 5 000 naira ou moins). En cas d’arrestation par des officiers mal intentionnés – du SARS ou autre – les utilisateurs n’auraient qu’à secouer leur téléphone pour faire apparaitre un faux solde, trompant ainsi leurs maître-chanteurs.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire l’actualité récente, le hashtag #EndSARS ne date pas de cet automne, et bien d’il y a quelques années déjà. Mais c’est pourtant bien ce 11 octobre 2020, lorsqu’il a atteint le nombre vertigineux des 28 millions de tweets, que le hashtag a prit vie pour s’incarner dans des manifestations bien réelles au cœur de plusieurs grandes villes du pays. La publication de vidéos incriminantes comme celle de nombreux récits de victimes ont ainsi poussé les nigérians et la diaspora à occuper le terrain, en dépit des risques auxquels ils s’exposaient : de violentes attaques des forces de l’ordre qui n’ont pas hésité à gazer les manifestants et à tirer à balles réelles dans la foule, ont ainsi été déplorées, engendrant le sombre bilan que l’on connait.
Face à l’escalade, les success stories nigérianes que sont Flutterwave, Paystack, Bamboo, ou encore BundleAfrica ont ainsi rejoint la lutte à leur manière. Flutterwave, une startup proposant des solutions de paiements sécurisées, a créé un fonds de soutien aux manifestants destiné à leur fournir une aide juridique et médicale. Celui-ci a atteint les 25 million de naira (soit 65 000$). BundleAfrica, une fintech spécialisée dans la cryptomonnaie, a également créé un fonds d’aide aux victimes. D’autres startups comme PiggyVest, Cowrywise, Rise, Bamboo, Paystack, Buycoins Africa, Fliqpay, Softcom, Eden, Quidax et Voyance, entre autres, ont fait des dons importants à la campagne #EndSARS allant de 100 K NGN (263,00 USD) à 1 Mn NGN (2,6 K USD).
Un formidable élan de solidarité illustratif d’une Tech engagée, et qui a largement dépassé les simples donations financières. Certaines startups ont en effet directement mis à disposition leur solution. C’est le cas de SafeBoda Nigeria, une startup permettant à ses utilisateurs de commander des taxi scooter, qui a offert des trajets gratuits aux manifestants, de LifeBank, l’entreprise derrière une plateforme de gestion des stocks de sang à travers le pays, qui a effectué des dons de sang d’urgence, et d’Hotels.ng, un site de réservation d’hôtel en ligne, qui a offert des chambres gratuites aux protestataires.
Un soutien financier et structurel de la Tech nigériane au mouvement populaire #EndSARS, qui a fourni sa part en appui aux revendications populaires qui ont abouties à la dissolution de l’unité tristement célèbre, et à la réforme des services de police. En attendant que ces promesses se concrétisent, la Tech nigériane a su envoyer un signal fort pour montrer que l’innovation technologique peut se mettre au service du bien commun, et œuvrer pour une société plus forte et plus humaine.