Au détour du Hall 3 du parc Chanot à Marseille, en une matinée rythmée par les conférences, ateliers et keynotes du Congrès Mondial de la Nature, une petite entreprise sud-africaine s’est fait une place sur le pavillon Ocean and Island, pour partager sa vision et son expertise sur la protection des océans. Comment s’est-elle retrouvée à la table des décideurs politiques et des experts internationaux de la biodiversité ? Avec une bonne dose d’ambition, de détermination et de travail, le tout porté par un Frenchy passionné et convaincu de la nécessité de s’engager dans une cause universelle. Alexis Grosskopf, PDG et co-fondateur de OceanHub Africa, un accélérateur de startups spécialisé dans les solutions tech et innovantes aux bénéfices de l’océan, nous a accordé une interview à la fin d’une de ses interventions. Portrait d’un entrepreneur optimiste et déterminé à changer la donne ! Propos recueillis par Philippine LECLERC |
Bonjour Alexis ! Ravie de te rencontrer en vrai après un an d’échanges par mails et visioconférence. Qu’est-ce qui t’as amené à quitter le Cap cette semaine ?
Bonjour Philippine ! Ravi d’être ici à Marseille, au Congrès Mondial de l’IUCN. J’ai été invité à intervenir sur plusieurs sessions du programme. J’ai participé samedi dernier à un atelier de travail à huis-clos aux côtés de représentants des ministères de l’environnement du Kenya, du Mozambique, des Seychelles et d’autres pays africains de la région, de l’IUCN, de directeurs généraux et CEO de WWF, de Conservation International, du Directeur General Délégué de l’IUCN et d’autres personnalités de haut rang. Nous nous étions donné rendez-vous pour discuter, débattre et obtenir des engagements fermes des différentes parties prenantes au sujet du Great Blue Wall. Ce projet, inspiré du Great Green Wall sahélien, a pour ambition de créer un mur contre le dérèglement climatique et la disparition de la biodiversité dans l’océan Indien. Il va aussi servir de terrain d’essai pour le développement du blue entrepreneurship dans les communautés côtières ou les petits États insulaires en développement (PEID).
« J’ai eu la chance de participer à trois différentes sessions. C’est très cool. Je suis super heureux. J’ai 34 ans, une petite boîte en Afrique du Sud et aujourd’hui je suis invité à parler à la Mecque de la biodiversité. Être invité à partager mon point de vue ici, c’est une chance et une reconnaissance inouïe. »
Alexis Grosskopf, PDG et co-fondateur Ocean-Hub Africa
Je suis ensuite intervenu deux fois sur le pavillon Oceans and Islands. La première fois dans le cadre de la présentation d’un programme mené par l’IUCN, en collaboration avec MARPlasticcs et l’agence de développement suédoise (Sida), sur le blue entreprneurship. J’ai pris la parole pour présenter l’approche que nous avons chez OceanHub Africa (OHA), et le potentiel impact de nos startups grâce à leurs financements. Et l’autre fois c’était sur l’intérêt de l’économie circulaire avec l’exemple du plastique, et l’importance de développer des solutions à la fois sociales, économiques et environnementales, mais aussi durables et de transition.
Pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, peux-tu revenir sur ton parcours et nous présenter OceanHub Africa?
J’ai grandi et étudié en France où j’ai fait une prépa math sup math spé avant de partir en Grande Bretagne où j’ai suivi une formation d’ingénieur en génie mécanique. J’ai continué avec un deuxième master en génie écologique avec une spécialité dans le développement durable dans les pays en voie de développement. J’ai ensuite travaillé sur l’hydrogène et la manière de stocker l’énergie pour parer l’intermittence des énergies renouvelables. En 2008, je suis parti dans le secteur privé où j’ai été consultant en développement durable jusqu’à ce que je me fasse chasser par Bouygues Construction qui m’a confié la R&D Innovation de son secteur de la rénovation. C’est là que j’ai commencé à travailler avec des startups puisque je faisais beaucoup d’open innovation. Et puis à 30 ans, j’ai eu envie de changer d’air, de me rapprocher de la nature et je me suis retrouvé à Cape Town en Afrique du Sud. J’y ai monté un premier incubateur à impact social, avec un focus sur le digital, et deux ans plus tard j’ai décidé de trouver mon Ikigai, et j’ai lancé OceanHub Africa, un accélérateur de startups à impact sur l’océan. Je suis accompagné de Stéphanie Canac, une autre française installée au Cap, et nous faisons appel à des mentors pour nos startups, et à des freelance pour nous aider dans tous nos projets.
« Le Ikigai est un concept japonais selon lequel le nexus de ce que tu aimes, ce dans quoi tu es bon, ce dont le monde a besoin et ce qui peut te rapporter l’argent, c’est le sens de ta vie. J’ai toujours eu une passion pour l’environnement, je sais m’occuper de programmes d’accélération et d’entrepreneuriat, pour moi la crise énorme à laquelle est confrontée le monde c’est celle des océans, et le modèle économique restait encore à prouver mais pour l’instant ça va. C’est comme ça qu’est né OHA ! »
Comme beaucoup d’autres accélérateurs on fait du Product & Business Development, on aide des startups à développer leur produit, à finaliser leur développement, à mettre en place une stratégie business pour conquérir le marché, et à trouver des investissements. Pour bénéficier de notre accompagnent, les entrepreneurs passent un processus de sélection stricte : on regarde d’abord l’équipe (est-elle compétente et passionnée ?), puis la technologie (est-ce innovant ? est-ce scalable ?), le business model (quelle est la taille du marché, quels sont les revenus espérés ?) et enfin, nous regardons l’impact (la solution a-t-elle un impact positif sur l’océan ?). Nous nous intéressons à des projets qui s’attaquent aux principaux défis auxquels fait face l’océan à savoir la surexploitation, la pollution, et le réchauffement climatique.
J’ai cru comprendre que OHA ne faisait pas seulement de l’accélération de startups. Dis-m’ en plus sur les différentes activités que vous menez.
En effet, tu as bien effectué tes recherches ! Notre programme d’accélération dure 6 à 8 mois et est complètement gratuit. Et même si nous sommes rémunérés grâce à des commissions sur les deals que nos startups décrochent à l’issue de leurs formations, cela peut prendre une ou deux années avant que ces opportunités ne se présentent.
« Notre activité principale c’est l’accélération, mais pour qu’elle puisse fonctionner, nous en avons deux autres. »
Nous avons d’abord une activité de conseil en blue entrepreneurship, et nous nous occupons de due diligence pour des investissements dans la blue economy en Afrique. On le fait pour des groupes privés et pour des fondations, comme l’IUCN ou la WWF. Cela nous permet de payer notre activité, de financer l’accélération, tout en nous permettant de développer notre réseau.
Notre dernière activité, c’est Ocean Innovation Africa, une plateforme web qui peut s’apparenter à de l’évènementiel puisque nous avons deux grands temps forts chaque année, un premier en juin avec les Oceans Days, et un deuxième en novembre avec l’Ocean Innovation Summit. Le premier objectif de OIA, c’est de connecter les différentes parties prenantes engagées au sein, et en dehors de l’Afrique, mais aussi d’attirer de nouveaux financements. Aujourd’hui, la principale manne de capitaux dans le blue entrepreneurship, c’est la subvention. Ce type de financement est parfait pour dérisquer un nouveau secteur et démontrer qu’il a du potentiel. En revanche, c’est bien l’argent privé qui fait scaler les initiatives. Nous souhaitons démontrer que les initiatives en faveur d’un océan durable sont une réalité et que c’est le moment d’investir. Le dernier objectif c’est de catalyser les partenariats, car c’est en mettant en lien tous les acteurs, et en échangeant des idées et des points de vues, que de nouvelles solutions peuvent émerger. À terme, cela nourrit notre impact, notre réseau et notre accélérateur. Tout est lié !
« Inspire more entrepreneurs, showcasing success stories, explaining the problems that are out there for people to come forward and find solutions. That’s our vision at Ocean Innovation Africa”
Tout cela va dans le même sens : éveiller les consciences, et créer de l’impact par la technologie. La raison pour laquelle on fait surtout de l’innovation, c’est parce que c’est le moyen le plus efficace pour provoquer les bouleversements dont nous avons besoin, à l’échelle et au rythme requis pour relever les défis océaniques. C’est vraiment l’innovation qui va nous permettre de le faire parce que le système en place subit de l’inertie et qu’il est incapable de changer de l’intérieur : il faut que l’innovation vienne de l’extérieur.
Peux-tu revenir sur le profil des startups que vous avez accompagnées ? De quel genre d’innovation parle-t-on ?
Bien sûr ! Nous en sommes à notre deuxième cohorte de startups. Comme je l’expliquais nous les recrutons selon quatre critères : l’équipe, l’innovation, l’impact et le business model.
Par exemple l’an dernier nous avions Shark Safe Barrier qui s’attaquait à la problématique des filets anti-requins que l’on utilise en Afrique du Sud. Les filets typiques présentent énormément de défauts, tant écologiques, qu’économiques. Les mammifères marins ou les poissons peuvent s’emmêler dedans et se noyer ou mourir de fatigue, ce qui attirent les requins qui les dévorent et créent des trous dans le filet (rendant caduc le principe même du filet puisque les requins peuvent se retrouver de l’autre côté). Les filets sont également très fragiles, et doivent être réparés et/ou remplacés très régulièrement. Shark Safe Barrier fait du biomimétisme et s’inspire des forêts de laminaires pour créer des barrières anti-requins efficaces, écologiques et économiques. Une autre startup qu’on avait l’an dernier est Inseco. Elle fait de l’élevage d’insectes à destination des fermes d’aquaculture. Aujourd’hui, la nourriture protéinée c’est soit du soja, soit de la petite friture (sardines, anchois). Or avec une tonne de protéines d’insectes, tu économises cinq tonnes de petites fritures, et donc tu réduis considérablement la surpêche. Une autre de l’an dernier est Impact Free Water qui exploitent l’énergie des vagues, à la fois verticalement et horizontalement. Au lieu de convertir cette énergie mécanique en électricité immédiatement, ils la conservent sous une autre forme d’énergie mécanique, la pression, pour maximiser les rendements. Et c’est une énergie qui est très demandée sur terre pour la désalinisation, et la mariculture.
Cette année on a par exemple Brayfoil Technologies qui fait également du biomimétisme à partir des ailes des rapaces. Leurs formes permettent de ré-imaginer l’aérodynamisme des pales des éoliennes en mer. Leurs hélices sont beaucoup plus grandes que sur terre, ce qui les rend plus efficaces mais très fragiles et la technologie Brayfoil réduit les risques de maintenance. La dernière que je vais te citer, c’est Plant Biodefender. Elle a un impact énorme qui est pourtant très souvent sous-estimé. Elle a créé un pesticide bio, certifié par la FAO qui remplace celui utilisé dans les champs de maïs et de tomates (ce sont les deux plus grandes cultures en Afrique Sub-Saharienne). En faisant ça, on empêche le déversement de pesticides toxiques et nocifs dans les nappes phréatiques et dans l’océan. Il ne faut pas oublier que 80% des menaces auxquelles fait face l’océan viennent de la terre. Il y a donc énormément de boulot à faire là-dessus.
Voilà quelques exemples mais tu peux retrouver toutes nos startups sur notre site internet.
Parlons du futur. Quels sont les projets de OceanHub Africa ?
Le première chose c’est de nous étendre à travers l’Afrique, soit grâce à nos partenaires locaux soit de manière organique. Nous aimerions vraiment que le programme du blue entrepreneurship prenne de l’ampleur et motive encore plus d’entrepreneurs à se lancer. Le second projet c’est de coordonner notre écosystème à l’échelle globale. Nous faisons déjà partie d’une coalition qui s’appelle 1000 Ocean Startups (composé d’incubateurs, d’accélérateurs, de fonds d’investissements…) mais l’idée c’est d’aller encore plus loin, en joignant nos efforts car on le sait, notre échéance à tous c’est 2030. La dernière idée c’est de structurer le financement, en complément de l’assistance technique et du soutien aux entrepreneurs. Et donc le projet serait de créer un fonds d’accélération ou bien de gérer des fonds de différentes parties prenantes, pour que l’on puisse dépêcher directement du development funding (early stage) pour des entrepreneurs.
« Le truc c’est que l’on connait le problème. On sait aussi quel genre de solutions il nous faut pour le résoudre. Et pourtant, il nous manque un pipeline d’acteurs qui prenne le sujet à bras le corps et qui développent ces solutions. C’est cet exercice de bottom of the pyramid, qu’il faut accélérer et sur lequel on se concentre. »
Alexis Grosskopf, PDG et co-fondateur Ocean-Hub Africa
Pour terminer cet entretien, j’aimerais bien revenir sur EMERGING Valley Online Edition, à laquelle OceanHub Africa a participé au mois d’avril dernier. Quelles en ont été tes impressions ?
C’était une très bonne expérience. Nous étions présents sur trois événements. J’ai participé au Lab Biodiversité 2.0 à l’issue duquel j’ai établi des contacts avec trois autres participants. Notre plateforme Ocean Innovation Africa a ainsi sollicité le soutien de la Société Générale pour prendre part au Ocean Hackathon du Campus Mondial de la Mer. Nous sommes également devenus membre de la plateforme Océan Climat de l’Institut Paul Ricard et la Fondation Tara. Et finalement, l’IRD a soutenu un projet qui participait au Ocean Hackathon et nous a donné accès à ses bases de données pour développer l’un des défis.
La seconde participation a eu lieu dans le cadre d’un atelier sur la logistique. Et de la même manière, nous avons gardé des contacts avec Zebox – l’accélérateur de la CMA CGM, avec qui on réfléchit à de beaux projets autour du green shipping. La dernière intervention, c’était la signature en direct d’un partenariat entre l’Eurosima, qui est la plus grande association européenne des sports de glisse, et OHA.
Cette participation a donc été productive !