Rendez vous fut donc pris à Djidjolé, quartier populaire et plein de couleurs de Lomé. A deux pas de la frontière avec la Ghana. Sénamé Koffi et son équipe m’accueillent chaleureusement au WoeLab, ce petit FabLab numérique qui fait tant parler de lui en Afrique mais aussi en Europe et ailleurs. Chaque année, le Woelab accueille et forme des dizaines de jeunes togolais en les sensibilisant au numérique, à l’entrepreneuriat et à cette culture « Do It Yourself », où bricolage et technologies de pointe se rencontrent pour apporter des solutions aux problèmes que les africains rencontrent tous les jours. Infatigable, rêveur, idéaliste, Sénamé est sur tous les fronts : il vient d’achever l’ArchiCamp : un chantier international mêlant architecture et numérique sur 3 semaines, pour bâtir une petite bibliothèque numérique dans un espace peu valorisé de Lomé. Et favoriser, même au cœur de la ville, l’e-inclusion. Je connaissais Senamé depuis 2013, avec qui je me suis lié d’amitié. Je lui avais promis de venir lui rendre visite à lui, son FabLab et toute sa communauté, sur le terrain, dès que possible. C’est aujourd’hui chose faite via l’initiative TECHAfrique. Rencontre et exploration d’un écosystème fascinant à Lomé.
Hello Senamé ! Peux tu nous présenter ton parcours et nous parler de tes projets actuels ?
Bonjour ! J’ai une double formation académique architecture- anthropologie et une certaine expérience du terrain dans la construction “avec le peuple” que j’ai voulu synthétiser en créant L’Africaine d’architecture. Découvrant le mouvement « Maker » en 2012, je remarque une correspondance, une proximité très forte entre « l’esprit hacker” et ce que je connais des traditions constructive de la société traditionnelle africaine. Cette proximité m’a semblé avoir le potentiel de permettre de faire du vernaculaire à l’échelle de la grande ville. J’ai théorisé cette approche dans le concept #LowHighTech et un projet est né: “HubCité” qui explore la pertinence de penser le développement des villes africaines autour d’open-evenements et open-lieux d’innovation élaborés d’un point de vue rigoureusement africain. C’est avec FabCity à Barcelone, l’un des deux projets de « Smart Cities » construit autour des Fablab. Mais là où Barcelone s’inscrit dans une perspective réglementaire, nous sommes nous un peu à la marge et entièrement « Grass Root ». Voici l’utopie urbaine et conceptuelle qu’en indépendant, je teste depuis 2012 dans le quartier Djidjolé à Lomé et qui a impulsé son premier Espace de Démocratie Technologique.
L’initiative a mué en un dispositif social pour le territoire et, dans le contexte relativement sinistré de la capitale togolaise, a très vite joué un rôle dans la constitution de l’embryon d’une scène tech locale avec l’émergence de jeunes figures, de projets, d’evenement originaux, etc. Ma responsabilité est, je crois, de rendre tout cela soutenable et c’est ce à quoi, avec mon équipe, je travaille actuellement notamment à travers le programme #SiliconVilla de création d’entreprises.
Tu as lancé le Woelab en 2012, d’où est partie cette volonté ? A quels problèmes as tu voulu répondre au travers de cette initiative ?
Le programme #RepLab de prototypage et d’installation de tech-lieux éco-conçus (micro labs, petites fabriques de proximité, bibliothèques numériques, serious game urbain, etc.) est l’instrument pour sensibiliser les togolais aux #LowHighTech. Il s’agit de fournir à un territoire donné autant de hubs technologiques promouvant des usages à faible empreinte écologique qui restaurent un peu de capacité de cohésion et permettent de faire descendre à une infra-échelle le professionnalisme et le potentiel de prototypage. La visée est d’augmenter le niveau général des populations pour envisager une approche des questions du développement qui ne soit pas élitiste mais vernaculaire. C’est ce sens que je donne à “Démocratie Technologique”. WoeLab est la modélisation de ce type de lieu et de fait le premier #RepLab mis en place. C’est maintenant une sorte de maison de quartier tech avec un programme quelque peu hybride : fablab, coworking space, accélérateur, living-lab (avec possibilité pour les jeunes de dormir sur place)… où nous essayons de promouvoir les valeurs du libre, du partage et de l’indépendance… et par la médiation des technologies pour nous connecter à nos traditions.
Sa mission est entre autre de susciter, encourager, supporter et vulgariser des technologies vertueuses et de rupture comme la W.Afate, notre imprimante 3D. La philosophie #LowHighTech du lieu fait aussi crible et fonctionne comme un “principe de sélection” de ce qui est bon pour le contexte africain; le grand problème étant, selon moi, qu’en Afrique nous avons tendance à accepter toute chose sans le questionner. De fait à WoeLab nous n’acceptons pas tout…
2 années plus tard, quelles ont été vos principales réalisations, et où en êtes vous actuellement ? Quels seront vos prochains projets ?
En vrac, côté hardware d’abord, il y a bien sûr notre projet d’imprimante 3D composés de déchets électroniques, autour duquel nous lançons une serie de programmes de recherche ou programmes sociaux pilotes dont l’objectif est de démocratiser la technologie 3d print en Afrique et créer des débouchés à notre machine. Nous avons aussi beaucoup investi à WoeLab dans l’importation de technologies non natives qui nous semblaient stratégiques. C’est le cas d’OpenStreetMap dont nous avons créé la communauté locale. Enfin, moins connu, mais qui nous occupe le plus en ce moment, un programme original de prototypage d’entreprises innoventes via le développement d’une “Base Collaborative Autonome”. C’est l’incubation “Made in WoeLab” : #SiliconVilla qui donné naissance à ce jour à 5 startups “soeurs”, lesquelles, comme pour tout ce que nous impulsons chez WoeLab, sont résolument tournées vers le quartier.
Votre victoire à Fab10 a été remarquée sur la scène internationale des Makers. Quel est le potentiel du DIY et des makers en Afrique ?
Je suis prudent à parler globalement de l’Afrique. J’ai le nez moi dans un petit quartier sur lequel je travaille mon petit truc #LowHighTech. Et le potentiel que j’y vois, c’est qu’une poignée de jeunes dont aucun n’est ingénieur, réunis dans un espace d’à peine 9m2 sans même une connexion internet tenant plus de 24 heures peut, si elle est bien mentorée et demeure animée d’un bon esprit collaboratif mettre au point un prototype d’imprimante 3D, technologie encore émergente en Occident même.
Tu étais récemment au MakerCon de New York, comment le mouvement maker africain est perçu a l international ?
Je ne sais pas trop. Je crois qu’ils attendaient plutôt de moi que je vienne les affranchir… Disons que les gens percoivent qu’il y a un potentiel africain du fait de l’ingéniosité à laquelle nous oblige le dénuement. Il y a eu aussi, c’est vrai, quelques jolies histoires récentes de gamins qui sont passés de la rue à la postérité : William Kamkwamba, Kelvin Doe, etc. Mais ce qui tient globalement de la débrouillardise ou de la résilience ne peut être assimilé à un mouvement ni même faire une culture. Pour ce qui est de la multiplication des makerspace cela reste trop anecdotique et de mon point de vue pas assez d’initiative africaine. Il n’y a pas un esprit ni des relais. La parole que j’essaie modestement de porter dans ce genre de forum, par rapport de ce que j’ai pu voir par exemple aux USA, c’est un playdoyer des médiations nécessaires pour transformer une réalité en une une vraie culture : courants, moments et lieux dédiés, figures etc. Si je dois ajouter quelque chose ce serait que, d’après moi, le commun, le collectif est la qualité, la matière première sur laquelle tout cela devra se construire.
Tu viens d’achever ArchiCamp, un bootcamp que tu organises chaque été et qui lie nouvelles technologies et architecture. Peux tu nous présenter les objectifs et résultats de l’édition 2014 ?
ArchiCamp est, après RepLab, l’autre grand axe du projet HubCité Africaine. Entièrement dédié aux questions du cadre de vie, c’est le plus gros barcamp du monde : 3 semaines intensives qui mettent une trentaine d’experts internationaux au contact des populations de notre territoire laboratoire pour, de façon indépendante et inclusive, penser et prototyper le quartier africain de demain. L’edition 2014 concluait le cycle de deux années et trois ateliers en proposant l’installation d’un « module de co-working » que nous avons appelé e-Changeur : une micro-architecture en bambou et bois équipé d’ordinateurs en déchets électroniques recyclés, qui pourrait incuber un « serious game » pensé pour rapprocher les riverains et les souder autour de défis civiques fictifs.