Un reportage de Samir Abdelkrim pour StartupBRICS, sur le terrain à Johannesburg à l’occasion de DEMO Africa.
Lagos et son chaos paraît si loin. Victoria Island avec ses ponts surchargés de véhicules n’est plus qu’un vague souvenir pour les organisateurs de la compétition DEMO Africa, le grand rendez-vous annuel des start-ups africaines. En effet, après deux éditions organisées successivement dans la capitale économique du Nigeria, ce fut au tour de l’Afrique du Sud d’accueillir à la fin du mois d’août l’édition 2016 de DEMO Africa à Sandton, le très calme et sécurisé quartier des affaires de Johannesburg – que l’on surnomme parfois le « kilomètre le plus riche d’Afrique » – aux infrastructures dernier-cri. Durant deux jours, 27 jeunes start-ups technologiques triées sur le volet à travers l’ensemble du territoire africain se sont retrouvées sur la scène du grand auditorium du centre de convention de Sandton pour convaincre une vingtaine d’investisseurs aux poches profondes sud-africains mais aussi européens et américains. Peu nombreux et discrets, des participants en provenance des pays du Golfe sont venus prendre le pouls du marché du capital-risque africain, distribuant çà et là des cartes de visite.
« Année après année, les start-ups que nous faisons venir à DEMO Africa sont plus nombreuses à signer des deals avec des investisseurs. Notre compétition est un facilitateur ou plutôt un accélérateur vers l’accès au financement pour les entrepreneurs technologiques africains » expliquent conjointement les coorganisateurs de la manifestation, le kenyan Harry Hare et le nigérian Stephen Ozoigbo, chiffres à l’appui. « Entre la précédente édition de Lagos en 2015 et aujourd’hui, au moins 8 levées de fonds ont été enregistrées par les start-ups que nous avons accompagnées. En volume, cela donne 5,2 millions de dollars injectés par des investisseurs dans le capital de ces sociétés en l’espace d’une année ». La barre sera placée encore plus haut en 2017 prophétise déjà Stephen Ozoigbo : « nous voulons maintenant que le niveau des levées de fonds facilitées par DEMO Africa augmente de 50% année après année ». Avec en ligne de mire la barre symbolique des 10 millions de dollars que DEMO Africa souhaite mobiliser au service des jeunes pousses africaines d’ici à 2019.
Gros plan sur 3 start-ups africaines marquantes venues du Kenya, du Maroc et du Nigeria, parties à la chasse aux investisseurs à DEMO Africa les 24 et 25 août dernier à Sandton, en Afrique du Sud.
Strauss Energy (Kenya)
Plusieurs investisseurs, pour la plupart sud-africains, ont discrètement fait halte au stand de la start-up kenyane Strauss Energy, quelques minutes après le pitch de son fondateur Tony Nyagah sur la grande scène de l’auditorium du centre de convention de Sandton. « Le marché de l’électricité dans les pays africains est l’un des plus inégalitaires au monde » martèle Tony tout en brandissant un prototype de son produit, une tuile solaire capable de permettre aux ménages de faire face aux coupures de courant qui conditionnent leur quotidien. « Notre cible, ce sont les ménages modestes, les classes moyennes, ceux qui possèdent une petite maison sans pouvoir bénéficier de l’électricité. 70% des africains n’ont toujours pas accès à l’électricité. Ensuite, la tarification de l’électricité souffre d’un manque de transparence avec des fluctuations fantaisistes d’un mois à l’autre comme au Kenya ». C’est pour répondre à cette nouvelle forme de pauvreté qu’est devenu l’injustice énergétique que Tony Nyagah et son équipe ont mis au point à Nairobi des tuiles solaires capable de garantir « un accès continu à l’énergie même en cas de délestage important… avec une réduction des coûts de 75% ». Une technologie spécifique, élaborée dans le GearBox, un FabLab kenyan récemment visitée par Mark Zuckerberg lors de son escale à Nairobi le 1er septembre 2016. La produit est breveté : « nous sommes en train de protéger notre innovation en Afrique et au Moyen-Orient, les principaux marchés sur lesquels nous souhaitons rester concentré. L’Europe est un marché trop difficile d’accès pour nous et sur le segment des tuiles solaires, la concurrence allemande est déjà trop importante ». Tony Nyagah est aujourd’hui à la recherche de deux millions de dollars pour s’internationaliser. Sur son stand, il n’est pas inquiet sur sa capacité à lever les précieuses liquidités : « plusieurs investisseurs sont venus me voir pendant les deux jours. Un nigérian et un sud-africain m’ont chacun proposé 500.000 dollars. Un investisseur venu du Moyen-Orient est même venu me faire une offre à 1,5 millions de dollars. Les discussions ne font que commencer… ».
Nextwi (Maroc)
« Nos principaux clients sont les « CHR », comme on dit dans le jargon des services aux entreprises. C’est-à-dire les cafés, hôtels et restaurants » explique Ismail Rachdaoui, le jeune fondateur de Nextwi, venu directement à Johannesburg depuis Marrakech, ville dont il est originaire. Concentré pour le moment sur l’industrie hôtelière de la Ville rouge, Nextwi met au point et loue (au mois ou à l’année) des réseaux Wifi intelligents aux restaurateurs et aux hôtels souhaitant fidéliser leur clientèle. Le premier avantage proposé par Nextwi est la disparition de la friction dans l’usage de la Wifi : « les clients vont surfer gratuitement sur le réseau Wifi offert par le restaurant en se connectant directement avec un compte Facebook. Fini les problèmes d’identifiants ou de mots de passe expirés, qui exaspèrent les consommateurs » promet Ismail. Nextwi apporte ensuite une « couche marketing » en fonction du profil personnel de chaque client : « une fois connecté, le client visualisera les promotions offertes par l’établissement. Il recevra également du contenu sur mesure, correspondant à ses centres d’intérêts, par exemple des jeux-concours. Ces données sur les affinités de chacun, nous les récupérons sur Facebook ». Cet usage des données est-il autorisé au Maroc ? « Absolument, notamment dans le cadre de la loi 08-09 sur la protection des données à caractère personnel. A partir du moment où l’utilisateur est averti et que la base de données est déclarée, tout est légal ». Depuis janvier 2016, Nextwi compte déjà 100.000 utilisateurs uniquement sur Marrakech, répartis à travers plusieurs dizaines d’entreprises clientes : « des hôtels, des restaurants mais aussi de plus en plus de salles de fitness et des centres commerciaux ». En pleine phase de recrutement, la start-up attend le franchissement du cap des 150.000 utilisateurs pour se déployer dans les autres grandes villes du Maroc.
Solstice (Nigeria)
Cole Stites-Clayton et sa cofondatrice Ugwem Eneyo sont en recherche active de fonds. Ils ont besoin de 350.000 dollars d’ici la fin de l’année 2016 et ils ont fait le pari de les dénicher ici, à Sandton. « Nous avons mis au point une box énergie adapté au contexte africain et nous voulons nous lancer officiellement sur le marché début 2017 ». Sostice se positionne à Lagos et au Nigeria sur un marché totalement vierge et ignoré, celui de l’efficacité énergétique comme l’explique Ugwem Eneyo : « des millions de nigérians vivant à Lagos utilisent des générateurs et ils n’ont aucun moyen de contrôler efficacement leur consommation d’énergie. Difficile pour eux de tenter des faire des économies ou de réduire leur impact environnemental, aucun dispositif n’est prévu à cet effet. Or en 2016 il devrait être possible de savoir exactement ce que l’on consomme et combien ». Les deux associés ont donc mis au point une technologie qui permet de visualiser sur mobile et tablette la consommation d’énergie d’un ménage ainsi que et ses coûts semaine après semaine, au Naira près. Ugwem rentre dans le détail : «avec la box énergie Solstice, vous pouvez établir un plafond de vos dépenses d’énergie, que vous soyez reliés au réseau national ou à des générateurs. Nos premiers clients sont des sociétés de gestion immobilières qui gèrent plusieurs parcs d’immeubles dans Lagos. Avec Solstice, ils réalisent qu’ils peuvent comprendre leurs dépenses d’énergies en temps réel, et où va leur argent ». A l’issue de la conférence DEMO Africa, les deux co-fondateurs ont été invité à se rendre dans la Silicon Valley afin d’y rencontrer plusieurs investisseurs.