De passage à Cotonou, au Bénin avant de mettre le cap en octobre vers le Ghana puis le Nigeria dans le cadre du projet #TECHAfrique, StartupBRICS a eu l’honneur de participer à l’inauguration de TEKXL, un tout nouvel accélérateur basé dans la capitale économique de ce petit pays de 10 millions d’habitants. Pourquoi le Bénin ? Parce que ce pays, géostratégiquement situé aux portes du géant économique du continent, le Nigeria, est en lui aussi en train de faire émerger un écosystème, certes encore neuf et fragile. Avec l’arrivée, encore timide au Bénin (comme dans de nombreux autres pays d’Afrique de l’Ouest), de nouveaux hubs, la présence de nombreux développeurs qui répondent de plus en plus aux standards internationaux même si de gros efforts de formation restent à accomplir, une diaspora importante… Mais les défis restent important, comme le nombre insuffisants de mentors, d’investisseurs, de lieux dédiées à la créativité et aux échanges entre les acteurs de l’écosystème : seulement deux espaces de coworking dans tout le pays. Autre facteur handicapant qui pèse sur le développement de l’écosystème : le manque de confiance et la culture du secret dans la sphère entrepreneuriale béninoise, qui demeure très forte et présente. Enfin l’absence de canaux de financements ciblant les jeunes sociétés technologiques, et les difficultés à commercialiser un produit sont également des freins à intégrer pour mesurer les difficultés rencontrés par les acteurs locaux.
Le Bénin est assez représentatif des obstacles largement observés en Afrique Francophone pour faire émerger des écosystèmes startups inclusifs, fédérateurs par les multiplication des évènements (les Startup Weekends et autres Hackatons permettant directement aux profils techniques de découvrir parfois pour la première fois la dimension entrepreneuriale des nouvelles technologies devraient être multipliés dans toutes la région…), soutenus par des partenaires privés (les grands groupes notamment) et publics (l’Etat, qui doit soutenir et lever les obstacles, sans être en première ligne dans l’animation de l’écosystème : c’est le rôle des startupeurs et l’une des conditions du succès).
Un modèle passionnant à observer : c’est précisemment maintenant que les choses commencent – plus rapidement qu’on ne le pense – à bouger, évoluer, se transformer.
Depuis 5 mois maintenant que StartupBRICS parcourt l’Afrique des startups, j’ai remarqué que les startups francophones expriment toutes un besoin essentiel : outre l’accès aux opportunités de marché (avoir un accès à l’information permettant d’identifier les opportunités), il existe un gros besoin en « Capacity building pour Startupeurs ». En clair : apprendre à identifier un marché, apprendre à construire un service, apprendre à passer de l’idée au Minimum Viable Product. Et apprendre à le faire vite avec des moyens limités, dans l’esprit Lean Startup. La particularité de l’accélérateur TEKXL, est qu’il met précisemment ces aspects au coeur de son business plan : mettre l’accent sur la formation à l’entrepreneuriat numérique en se basant exclusivement sur les méthodologies agiles. Un moyen efficace, selon moi, pour identifier rapidement les meilleurs idées, les pousser rapidement vers un prototypage en pré-incubation, et bâtir ainsi en quelques mois un pipeline régulier de projets qualifiés, portée par des équipes formées durant ce processus d’accélération. Et déboucher ainsi sur des startups qui créent une vraie valeur, à condition qu’elles acceptent aussi de travailler entre elles, cherchent à penser local mais aussi international dans leur apport de solutions, et tirent profit des partenariats que peuvent leur apporter les incubateurs, accélérateurs, coworking spaces qui les accompagnent (par exemple Orange est l’un des partenaire privé de l’incubateur sénégalais CTIC Dakar). Il peut en être de même au Bénin, en Côte d’Ivoire et ailleurs avec des grands groupes incontournables comme MTN, l’autre grand opérateur téléphonique ouest africain. Voire Etisalat, nouveau venu déjà présent au Togo et au Mali.
Alors amorcer les écosystèmes en Afrique Francophone par des Fabriques de startups et via l’essor du Capacity Building entrepreneurial ? Un beau pari pour toute l’Afrique de l’Ouest. Un défi qu’Ulrich Sossou, cofondateur du nouvel accélérateur – incubateur TEKXl avec Senam Beheton, a décidé de relever. Rencontre et interview en immersion, en Afrique.
StartupBRICS : Hello Ulrich ! Peux-tu te présenter ?
Bonjour, je suis Ulrich Sossou, cofondateur de TEKXL, un accélérateur/incubateur créé il y a un peu plus de deux mois, en Juillet 2014, dont les activités ont effectivement débuté en septembre. Nous formons de jeunes équipes de technologistes africains à la création de produits compétitifs sur le marché mondial pour en faire des startups.
StartupBRICS : Tu as notamment travaillé sur de nombreux projets internationaux, peux-tu nous en parler et nous expliquer ce qu’ils t’ont apporté en termes d’expérience ?
Mon rôle à TEKXL n’est que le résultat de mon expérience au cours des huit dernières années où j’ai travaillé sur des centaines de produits avec des particuliers et des entreprises de par le monde, de l’Amérique du Nord à l’Asie en passant par l’Europe. Ces produits vont du simple site web de quelques pages à des applications ayant des millions d’utilisateurs. Les projets auxquels j’ai contribué et qui m’ont le plus marqué sont WordPress, le système de gestion de contenu avec lequel environ 25% des sites web sont créés dans le monde. Egalement GSB New Media, un projet pilote de formation en ligne du Graduate School of Business de l’université de Stanford en Californie. Enfin Retreat Guru, un agrégateur et annuaire de retraites de Yoga, méditation, retraites spirituelles dans le monde, couplé d’un système de gestion de réservations pour les centres de retraites.
Cette expérience de travail à distance m’a aidé à comprendre que l’on peut faire de grandes choses avec la technologie même avec les plus petits moyens. C’est surtout après avoir travaillé sur le projet avec l’université de Stanford que j’ai eu comme une révélation.
Je me suis rendu compte que si un département aussi prestigieux que le GSB de Stanford, classe régulièrement en première ou seconde place dans le monde pour la délivrance de masters en administration des affaires (MBA), fait appel à un jeune Africain qu’ils n’ont jamais rencontré pour travailler sur un projet aussi important pour eux, alors les jeunes africains talentueux en général disposent d’opportunités énormes dans le domaines de la technologie. Nous n’avons pas besoin de fuir vers l’Occident pour accomplir de grandes choses.
StartupBRICS : Quel est le scope géographique de TEKXL ?
TEKXL ne s’intéresse pas uniquement à l’écosystème startup béninois. Nous avons commencé au Bénin parce que c’est le pays dont nous sommes originaires, mais nous nous intéressons à toute l’Afrique Occidentale dans un premier temps, et l’Afrique Subsaharienne en général ensuite. Nous ouvrirons d’autres centres dans plusieurs autres pays d’Afrique Occidentale dans les prochains mois.
A TEKXL, mon rôle est de coordonner le programme de formation des jeunes qui nous rejoignent, de suivre la mise en place des équipes, d’identifier et d’évaluer les idées de produits et de suivre le développement de ces idées en les transformant en startups compétitives sur le plan mondial.
StartupBRICS : Comment et pourquoi avez-vous eu l’idée de créer cet accélérateur ?
L’idée de créer TEKXL est venue après plusieurs discussions avec Senam Beheton, cofondateur, des séances de brainstorming pendant lesquelles nous essayions d’évaluer des idées pour promouvoir et accélérer l’évolution des technologies de l’information en Afrique Subsaharienne. Apres avoir évalué diverses approches, nous avons conclu que le modèle que nous essayons maintenant de mettre en place avec TEKXL est le meilleur.
Le problème que nous essayons de résoudre est le manque d’entreprises compétitives dans le domaine des technologies de l’information en Afrique subsaharienne. Il y a quelques succès isolés mais généralement nous sommes très loin en arrière par rapport aux autres régions du Monde.
Quelle solution apportez-vous et quel est votre modèle économique ?
Nous pensons que le problème du retard africain en technologies est principalement dû au manque de talents. L’Afrique est consommatrice de technologies, nous ne produisons presque rien comparé aux autres continents. Les jeunes sont initiés aux technologies très tard, le plus souvent pendant leurs études universitaires. Les universités leurs apprennent des outils et des techniques obsolètes.
Les opportunités dans le domaine des technologies sont énormes et pourraient être une solution pour sortir l’Afrique du sous-développement. Mais ces opportunités ne sont pas saisies. Aujourd’hui, avec les technologies, un jeune africain peut partir de rien créer et toucher des clients, des utilisateurs qui sont à l’autre bout du monde.
Beaucoup de gens se sont rendus compte du retard et essaient de créer des solutions, mais le problème c’est que les solutions proposées sont souvent tout juste des copies de ce que les gens voient faire en Occident. Par exemple, il existe déjà des accélérateurs, des concours ou des sommes d’argent sont offertes aux jeunes pour développer des produits. Nous pensons que ces solutions ne sont pas adaptées parce qu’il manque le savoir-faire, l’expérience. Un jeune africain, même avec des moyens financiers, ne pourra pas développer une application compétitive sur le marché international s’il n’a pas l’expérience nécessaire.
C’est ce savoir-faire que nous essayons d’apporter avec le programme de formation de TEKXL. Nous formons des équipes, nous les suivons de très près et leur apprenons comment développer des produits viables. Nous leur apprenons non seulement les techniques de développement mais aussi de promotions des produits devant une audience mondiale.
Dans quelques années, nous aurons des experts, ayant tous participé à la création et ayant des parts dans des entreprises viables et compétitives. Le modèle économique de TEKXL est de prendre un pourcentage de parts dans les entreprises créées à travers le programme. Nous nous rémunérons donc par de l’equity.
Vous avez lancé le programme Learn2Code pour initier au code les jeunes béninois âgés de 10 à 22 ans, comment vous est venu cette idée ? Quels furent les résultats de ce programme ?
L’idée de Learn2Code est venue de l’observation que les jeunes béninois actuellement programmeurs n’ont pour la plupart été inities à la programmation que pendant leurs études universitaires. Apprendre la programmation à l’université est trop tard si nous voulons être compétitifs et avoir des talents doués en programmation. Il est difficile pour un jeune de 20 ans qui programme depuis seulement un ou deux ans de compétir avec celui qui programme depuis qu’il a l’âge de 10 ans.
De plus, si nous voulons que les jeunes s’intéressent à la programmation et aux technologies et choisissent des métiers dans ces domaines, il faudrait les initier depuis leur bas âge. S’ils n’en ont jamais entendu parler ou s’ils ne savent pas que ça leur est accessible, ils ne pourront jamais s’intéresser à ces domaines.
Les métiers des technologies de l’information prennent une place de plus en plus importante dans notre société. Si nous voulons que le continent africain se développe, il faudrait que des talents soient cultivés et de grandes choses soient faites pour la promotion des technologies en Afrique, pas en tant que consommateurs mais en tant que producteurs.
Nous considérons Learn2Code comme une réussite. Plus de 40 jeunes béninois ont été initiés aux concepts de la programmation en quelques semaines. La plupart d’entre eux peuvent déjà développer de petits jeux et des applications très simples. Plusieurs d’entre eux sont encore en contact avec nous pour demander des conseils et en apprendre plus. C’est un succès qui dépasse nos attentes.
Quels sont vos besoins ? Un message à faire passer ?
Les centres technologiques les plus importants dans le monde sont ceux où les idées sont échangées et les approches comparées pour améliorer les solutions offertes par tout le monde. Nous sommes ouverts à toute idée de collaboration pour accélérer la création d’entreprises technologiques compétitives et créatrices de richesse en Afrique. Nous invitons toute personne ou organisation ayant les moyens intellectuels, matériels et/ou financiers pour contribuer à l’émergence de telles entreprises en Afrique à nous contacter pour d’éventuels partenariats ou tout juste des échanges d’idées.