Sondage Afrique : valoriser la voix des consommateurs africains de demain

– Interview du CEO de Sondage Afrique, Abdoulaye Dabo en date du 1erFévrier 2020 par Julie Lanckriet –

C’est Abdoulaye DABO lui-même qui nous a contacté pour présenter sa nouvelle société sur StartupBRICS : Sondage Afrique. Ce sénégalais de 29 ans diplômé d’un Master en management international acquis entre Paris, Rome et Pékin a décidé de prendre part au boom du digital africain en créant une première société de télécom à Dakar, Dabo Connect, après quelques années passées à New Dehli au sein du géant indien Airtel. Ses activités d’entrepreneurs l’amènent rapidement à constater que les données manquent sur le continent, et plus encore les données-marché, pourtant nécessaires au positionnement de nouveaux produits. C’est la naissance de Sondage Afrique, qui est aujourd’hui en pleine phase MVP – Produit minimum viable – et bien décidée à se lancer dès 2020 à la conquête de l’Afrique francophone.

StartupBRICS : pouvez-vous revenir sur la genèse du concept de Sondage Afrique ?

Abdoulaye Dabo : C’est venu d’un coup de gueule en quelque sorte ! La grande majorité des startups créées en Afrique aujourd’hui périclitent faute d’accès aux donnéesSB. Avant de lancer son produit, il faut savoir ce que les consommateurs attendent. Or même en ligne aujourd’hui, il est très difficile d’avoir des informations sur la consommation des ménages, que ce soit dans le domaine alimentaire, électrique, sur le paiement mobile, etc.. J’ai pris le temps de réfléchir au projet, et c’est comme ça qu’est née la plateforme Sondage Afrique, que nous avons mise en ligne à l’été 2019. Elle vise l’ensemble des pays francophones du Continent, et permet à toute structure intéressée – Startup, PME, ONG, multinationales,.. – de pouvoir recueillir des informations utiles à l’amélioration de leurs produits ou projets auprès du public africain. En contrepartie, ces derniers sont rémunérés pour participer à ces sondages.

« Avant de lancer son produit, il faut savoir ce que les consommateurs attendent. La grande majorité des startups créées en Afrique aujourd’hui périclitent faute d’accès aux données. »

Le fonctionnement est simple : nous demandons à nos clients de rédiger un questionnaire de 10 à 20 questions, que nous traitons, avant de les soumettre à notre réseau d’inscrits sur la plateforme Sondage Afrique, ou directement sur les réseaux sociaux. Une fois les réponses obtenues, nous fournissons aux clients les résultats bruts, ou traités, analysés et assortis de graphiques selon la demande : on est encore au stade MVP, on teste différents modèles.

SB : à titre de comparaison, en France, 25% des sociétés ne passent pas les 2 premières années, près de 50% ferment avant les 5 premières et jusqu’à 80% pour les startups. Source : Insee 2018

SB. Le stade MVP est très early-stage, pourtant votre projet semble déjà bien défini : quels développements avez-vous engagés concrètement ?

AD. Nous avons souhaité valider notre modèle avant de partir bille en tête sur le marché : tester les hypothèses principales qui sont l’intérêt des sondés à participer à nos enquêtes d’une part, et le besoin du marché (entreprises, ONG etc) en matière de sondage d’autre part. Nous avons commencé par créer un site propre, qui inspire la confiance : 4 mois après notre lancement et sans aucune pub, sans aucun marketing, nous sommes déjà à 1 000 inscrits répartis sur 17 pays ! Nous avons été très surpris de la réactivité des participants sur notre plateforme, avec près de 50 nouveaux inscrits chaque semaine prêts à participer et à aider les structures africaines. Le nom du site lui-même semble être une aubaine et on a beaucoup travaillé sur le SEOSB : internet à lui seul nous rapporte déjà énormément de trafic et la première hypothèse est donc déjà validée.

« 4 mois après notre lancement et sans publicité, nous sommes déjà à 1 000 inscrits sur notre plateforme, dans 17 pays ! Nous gagnons près de 50 nouveaux inscrits chaque semaine »

Concernant la 2dehypothèse, cela impliquera un réel développement marketing. Nous avons déjà réalisé deux campagnes à date : une sur la vente en ligne et l’autre sur le sport. Ça a été un succès, nous avons posté les campagnes sur Facebook, qui permet via Facebook Addsde faire un premier tri sur les répondants, et les gens ont répondu très vite. Être payé pour donner son avis : beaucoup pensaient que c’était un scam ! Sur le plan technique, nous avons développé un système de filtrage, qui permet d’identifier individuellement les répondants pour éviter qu’une même personne ne réponde deux fois.

« Être payé pour donner son avis : beaucoup pensaient que c’était un scam ! »

Les clients précisent les critères du panel recherché (pays, tranche d’âge, sexe, etc..). Notre taux de réponse pour ces premiers sondages a été de près de 10%, avec près de 200 réponses pour 2 000 vues, contre un taux habituel qui se situe autour de 1% sur le marché. À terme, on aimerait faire apparaitre en même temps tous les sondages sur la plateforme, avec la rémunération proposée par chaque client : les mieux payés partiraient ainsi en premier.

SB : travail sur le référencement naturel sur internet ou l’optimisation pour les moteurs de recherche

SB. Le cœur de votre modèle repose sur les participants : comment les recrutez-vous et quelle est leur rétribution ?

AD. Il y a deux canaux principaux : via notre plateforme ou par les réseaux sociaux. Sur Facebook par exemple, nous créons un fichier similaire à Google Form, assorti d’un visuel commercial. Quand les gens cliquent, ils accèdent directement au sondage, et sont amenés à remplir les informations d’identifications nécessaires pour débloquer les réponses. Le 2èmemoyen, qui est à nos yeux le plus efficace, c’est quand les sondés viennent à nous et nous trouvent directement sur internet. Nous avons ainsi déjà une très grosse base de données, qu’on est en train de structurer.

Concernant la rémunération, on a pour le moment testé 1$ par sondé, et c’est plutôt bien reçu. Mais, toujours sur le mode MVP, on compte observer l’évolution du taux de réponse avec des rémunérations supérieures ou inférieures. Mais le cout dépend aussi du nombre de questions et de la complexité de celles-ci : c’est réellement le temps de réponse qui est le critère.

« 10 à 15 euros par mois en FCFA, c’est déjà très intéressant et pour un étudiant de Dakar qui serait boursier par exemple, ça fait la différence » 

À terme, on peut imaginer qu’un inscrit sur la plateforme Sondage Afrique pourra répondre à une dizaine de sondage par mois. Si vous répercutez cela en FCFA, c’est déjà très intéressant. Nous comptons ainsi aller voir les étudiants de Dakar par exemple, dont beaucoup vivent de bourses ou on des revenus modestes aujourd’hui, et pour qui un complément de 10-15€ le moisSB fait la différence.

SB : de 6 500 à 10 000 FCFA

SB. Quel est votre business-modèle ?

AD. Dans un premier temps, les startups et autre clients définissent leur besoin, puis nous fixons le tarif en fonction du volume. Cela peut aller de 300 à 700 € mais nous avons déjà eu une commande à 4 000 €, qui impliquait un panel de 1 000 répondants. Encore une fois, nous sommes à un stade très amont et n’avons pas généré de rentrées financières ni de contrats solides : cela impliquera un réel déploiement terrain, pour aller à la rencontre des startups, ONG, PME et en faire nos futurs clients.

SB. Vous semblez avoir une idée très claire de la suite à donner au projet : quelle est votre feuille de route ?

AD. L’objectif pour 2020 est de valider notre MVP, avant d’aller voir des partenaires qui ont les moyens de nous accompagner. On envisage une levée de fonds, mais l’idéal serait des Business Angels, puisque nous n’avons pas besoin de grand-chose et que les bases sont déjà en place : avec 20-30 000 € on pourrait déjà se lancer. Premièrement, ces fonds serviraient à mettre en place une équipe avec 4 postes supplémentaires : un business développer pour aller démarcher les clients ; un responsable marketing pour gérer nos réseaux, le site et le SEO ; un statisticien pour traiter les données et  éventuellement un développeur pour créer une application mobile, ce qui se prêterait bien mieux au marché des consommateurs africains que la version web.

« L’idéal serait de trouver des Business Angels, puisque les bases sont déjà en place et nous n’avons pas besoin de grand-chose : avec 20 à 30 000 € on pourrait déjà se lancer. »

Ensuite, nous avons de nombreuses idées de développement, à commencer par des partenariats qui nous permettraient de diversifier la rémunération. Nous visons les supermarchés par exemple, les cinémas ou des opérateurs téléphonique comme Orange, pour que les participants puissent recevoir différentes rétributions : billets de cinéma, crédit téléphonique, bons d’achat,.. À terme, nous souhaitons également utiliser davantage les réseaux sociaux, tel que LinkedIn si le client souhaite un panel de professionnels par exemple. On réfléchit aussi à renforcer nos processus d’identification sur le site, avec des informations similaires à celles prises sur des plateformes comme Air BnB : validation à l’aide de la carte d’identité, du téléphone.. Mais les possibilités sont vastes : on envisage même de se diversifier des sondages en proposant des services d’Affiliate marketingSB.

SB: commercialisation d’encarts publicitaires sur des sites internet partenaires

SB. Quelles sont les barrières que vous rencontrez sur votre secteur ?

AD. Le premier problème a été la rémunération : on s’appuie aujourd’hui sur la vague du paiement mobile, puisque tout le monde au Sénégal a Orange Money, Freemoney, MTN,.. Nos participants doivent communiquer dès leur inscription le moyen de paiement qu’ils souhaitent utiliser pour recevoir leurs primes. Mais tout cela est très éclaté entre de multiples opérateurs, et se complique encore quand on opère dans d’autres pays, avec différentes devises : on ne peut pas se permettre d’avoir des frais de paiement internationaux à 50 centimes sur une opération à 1 €. Nous allons devoir résoudre cela, et trouver un intégrateur de paiement.

« Les opérateurs mobiles sont très éclatés, et si on ajoute les différentes devises et les frais internationaux, on ne peut pas se permettre de verser 50 centimes sur une transaction à 1 €, il nous faut un intégrateur »

Ensuite, un frein important est que les startups et entreprises ici ne sont pas encore sensibilisées à l’importance du sondage. En France c’est le cas et les startups sont très ouvertes, et le fait d’avoir un sondage ou de connaitre la réaction du marché conditionne parfois même les levées de fonds. Mais ici, on a tendance à partir directement sur le modèle sans avoir analysé le marché au préalable. Il nous faut donc évangéliser sur l’importance des sondages, et on pense ainsi à travailler avec des incubateurs, pour que leurs startups passent par nous avant de lancer leur produit sur le marché.

« Startups et entreprises ne sont pas encore sensibilisées à l’importance du sondage, tandis qu’en France par exemple, elles sont très ouvertes au concept et cela conditionne même parfois la levée de fonds »

SB. Les derniers chiffres sur les levées de fonds en Afrique montrent un marché anglophone bien plus dynamique que les pays francophones. En tant que startup sénégalaise, quel est votre point de vue sur la question ?

AD. Je pense que la raison majeure est à chercher du côté de la barrière de la langue : de mon point de vue d’entrepreneur, tous les fichiers à remplir pour accéder à ces compétitions ou aux sommets sur lesquels se font contacts et contrats, sont en anglais. Les anglophones y ont donc un accès naturel bien plus évident. Ce n’est pas mon cas, mais il faut avoir conscience que la plupart des entrepreneurs ne parlent pas anglais dans les pays francophones, et je suis souvent l’un des rares francophones sur les salons où je me déplace. Les investisseurs et le milieu des affaires en général sont aussi majoritairement anglais, et quand il faut défendre son projet dans une langue étrangère, ça peut faire la différence.

Le deuxième point à mes yeux, c’est le marché : tout est trop compliqué dans les pays francophones, il y a trop de paperasse et nos écosystèmes sont moins dynamiques également, on manque de lieux où se retrouver, d’émulation. Le Sénégal tire son épingle du jeu sur les levées de fonds francophonesSBparce qu’il est très axé Fintech, et c’est ce qui marche aujourd’hui.

SB : Le Sénégal est 8ème sur le continent et 1er francophone aux côtés du Rwanda, avec 16 millions $ levés en 2019. Source : Rapport Partech Africa 2020

About Julie Lanckriet

Julie Lanckriet-Goerig est auteur, journaliste Afrique sur les questions économiques et d’innovation et Directrice des Opérations au sein de StartupBRICS, EMERGING Valley et EMERGING Mediterranean. Forte de plus de treize ans d’expérience sur le Continent africain, Julie a travaillé pour diverses institutions telles que le ministère français des Affaires étrangères et l’Union européenne. Elle débute son parcours professionnel à Paris, en charge de l’animation du Laboratoire d’innovation du Ministère de la Défense avant de partir au Nigéria comme Chargée de mission Tech pour l’Ambassade de France à Abuja. Ayant développé un solide réseau au sein de l’écosystème numérique local, elle rejoint StartupBRICS depuis Lagos, pour piloter la ligne éditoriale et mener les missions de terrain. Aujourd'hui basée à Casablanca au Maroc, Julie travaille aux côtés de Samir Abdelkrim, Fondateur de StartupBRICS, sur l’ensemble des projets du groupe avec pour objectif de contribuer à la visibilité de la Tech africaine, accompagner ses entrepreneurs et renforcer leur impact social.